Dans quelle mesure un bailleur-investisseur ou un le locataire commercial ont-ils aujourd’hui respectivement intérêt à donner et à prendre à bail un bien performant sur le plan environnemental ?
En d’autres termes, la « valeur verte » d’un actif permet-elle effectivement à un propriétaire de prétendre à louer son bien à un niveau de loyer survalorisé et garantit-elle, à l’inverse, à un locataire un niveau de charges refacturables (notamment en matière de consommation d’énergie) inférieur à celui qui s’appliquerait dans un immeuble ne bénéficiant d’aucune certification ou label.
Cette notion de « valeur verte » est en effet précisément apparue dans les années 1990 avec la création des premières certifications et labels environnementaux (BREEAM en 1990, HQE en 1996, LEED en 2000). Elle est définie traditionnellement[1] comme la valeur nette additionnelle d’un bien immobilier dégagée grâce à une meilleure performance énergétique et environnementale[2]. Cette augmentation de valeur est calculée par comparaison avec des immeubles non certifiés et / ou moins performants, présentant des caractéristiques similaires (localisation, taille, confort…).
Si en 2010, l’obtention ou non de ces labels et certifications semblait sans effet sur la valeur des actifs[3], un écart de charges[4] de l’ordre de 11 % et de 6 à 8 % en valeur vénale pouvait être mesuré dès 2015[5] entre des bureaux « non verts » haut de gamme et les bureaux « verts ».
L’efficacité des certifications et labels apparaît peut-être de façon moins évidente si l’on considère que les bureaux certifiés en « construction ou rénovation » affichent une consommation énergétique à peine meilleure (157 kwhEF/m²/an) que la moyenne (160kwhEF/m²/an) tandis que les bureaux certifiés en « exploitation » se situent pour leur part au-dessus de cette moyenne (190 kwhEF/m²/an)[6]. Mais Ce paradoxe apparent s’explique par le fait que les immeubles très haut de gamme bénéficiant de certifications et labels attestant des meilleures performances environnementales sont loués à des utilisateurs qui sont eux-mêmes parmi les plus grands consommateurs d’énergie.
Quoi qu’il en soit la production permanente de normes environnementales de plus en plus contraignantes est appelée non a seulement à accroître l’incidence économique de la « valeur verte » sur le coût des constructions neuves (et des rénovations de bâtiments existants) – qui sera forcément répercutée, au moins en partie, sur les prix de vente des actifs et leurs loyers – mais également à générer chez les opérateurs une exigence d’efficacité concrète des mesures imposées par la réglementation, dont l’acceptabilité et la légitimité sont très certainement conditionnées, à plus ou moins long terme par des performances environnementales et, surtout, économiques conformes aux attentes et aux intérêts de ceux qui financent la transition écologique immobilière (qu’ils s’agissent aussi bien des propriétaires d’immeubles que de leurs utilisateurs mais aussi des établissements financiers auprès desquels les uns et les autres empruntent pour financer leurs projets).
Et, de ce point de vue, nous ne croyons pas que les nouveaux standards de marché progressivement en cours d’élaboration se contenteront longtemps d’une simple incidence négative des nouvelles prescriptions environnementales, dont il est admis pour le moment qu’elles conduisent, pour l’essentiel, à l’application d’une décote « brune » des actifs qui n’y satisfont pas, sans prime particulière pour les bâtiments vertueux.
Parmi les normes qui fixent les exigences accrues de performance des bâtiments tertiaires ou résidentiels, figurent notamment :
– L’annexe environnementale (2012), jointe aux baux de bureaux ou de commerce d’une superficie supérieure à 2.000 m², prévoit les engagements des bailleurs de réaliser certains travaux et aménagements de nature à réduire l’impact énergétique et écologique de leurs biens, et de la part des locataires, d’adopter un meilleur comportement au regard de leur consommation.
– Le Dispositif éco-énergie tertiaire – DEET (2019), applicable aux bâtiments, parties de bâtiments ou ensemble de bâtiments présentant une surface d’activités tertiaires égale ou supérieure à 1 000 m², impose le monitoring[7] des consommations d’énergie des bâtiments et la rénovation massive de ceux-ci afin d’atteindre des objectifs de réduction de la consommation énergétique, objectifs en valeur absolue par catégorie d’actif [8] ou en valeur relative correspondant à -40 % en 2030, -50 % en 2040 et -60 % d’ici 2050.
– La réglementation RE 2020, en tant que nouvelle norme constructive[9] applicable aux logements depuis le 1er janvier 2022 et au secteur tertiaire dès le 1er juillet 2022, s’oriente autour de l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 (émission des GES) et l’adaptation des bâtiments aux aléas induits par le réchauffement climatique.
– La Loi Climat et Résilience (2021) entend, entre autres lutter, contre les logements dits « passoires thermiques » aux échéances 2025, 2028 et 2034 et a fixé l’objectif de « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) à l’horizon 2050.
C’est en tenant compte des contraintes résultant de ces principaux textes que les propriétaires et/ou bailleurs devront concevoir leur stratégie d’acquisition et ou de rénovation d’actifs[10]. Ces arbitrages ne manqueront plus à l’avenir d’intégrer, parmi les critères traditionnels de valorisation, la « valeur verte » ou la « valeur brune » de tel ou tel bâtiment.
De leur côté, les utilisateurs ne manqueront pas d’apprécier l’opportunité de prendre à bail un local plus ou moins performant environnementalement au regard, d’une part, du surcoût de loyer qu’ils auraient à exposer dans un bâtiment labelisé ou certifié et, d’autre part, du risque d’avoir à supporter, en cours de bail portant sur un bâtiment non labélisé ou certifié, les éventuels coûts de mise aux normes environnementales que le bailleur pourraient chercher à lui refacturer (lorsque ces coûts ne correspondent pas à de travaux relevant de l’article 606 du code civil).
[1] Par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) ; l’association DINAMIC (Association du développement de l’information notariale et de l’analyse du marché immobilier et de la conjoncture) et l’OID (Observatoire de l’immobilier durable).
[2] La valeur verte d’un bien, au sens de sa performance énergétique et environnementale, est mesurée par le diagnostic de performance énergétique (DPE) fourni avant la vente ou la location d’un bien et par l’audit énergétique.
[3] Selon la Chambre des experts immobiliers de France.
[4] L’indice MSCI IPD (2015) de l’immobilier vert en France montre un écart de 11% en faveur des immeubles certifiés sur l’ensemble des charges d’exploitation, 16% pour les coûts des assurances, 19% pour le coût de l’énergie et 21% pour les services aux occupants.
[5]Selon l’indice MSCI IPD de l’immobilier vert en France (2015/2017).
[6] OID, Valeur Verte, Comment la Règlementation va Faire Bouger les Lignes, février 2022.
[7] Déclarations sur la plateforme OPERAT.
[8] Fixés par arrêtés, notamment du 24 novembre 2020, mais un grand nombre de valeurs absolues manquent encore.
[9] Selon l’US Green Building Council (USGBC), d’après l’étude de 146 bâtiments verts en 2015, le coût initial d’un bâtiment écologique est seulement 2% plus élevé que son homologue non vert.
[10] Les critères de valorisation d’un bien immobilier se basent sur d’autres critères tels que sa localisation, son standing, le taux de vacance.