Cass. civ. 3ème, 17 juin 2021, n°20-12.844, FS-B
« Un contrat étant renouvelé à la date d’effet du bail renouvelé », les dispositions du statut des baux commerciaux relatives aux charges, issues de la « loi Pinel » et de son décret d’application, applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, ne sont pas applicables au bail dont la date de renouvellement par l’effet d’un congé avec offre de renouvellement est antérieure.
I. Les faits
En l’espèce, le 12 juillet 2000, le propriétaire d’un local situé dans un centre commercial l’avait donné à bail. Il avait ensuite signifié un congé avec offre de renouvellement à effet au 1er avril 2014.
Le locataire avait accepté le principe du renouvellement du bail, mais contesté le montant du loyer proposé.
Le bailleur a assigné le locataire en fixation judiciaire du loyer minimum garanti.
Dans le cadre de cette procédure, le locataire avait formé une demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel », portant sur la répartition des charges entre bailleur et preneur.
Les juges du fond n’ayant pas fait droit à cette demande, le locataire s’est pourvu en cassation.
II. Les charges et la loi Pinel
Avant l’entrée en vigueur de la « loi Pinel », la répartition entre le bailleur et le preneur du coût des charges courantes, des impôts et des travaux relevait, pour l’essentiel, de la liberté contractuelle. Elle rencontrait néanmoins certaines limites liées, d’une part, à une interprétation restrictive des clauses transférant au preneur la charge de dépenses incombant en principe au bailleur (C. civ. anc. art. 1162 et C. civ. art. 1190) et, d’autre part, à l’impossibilité pour le bailleur de s’exonérer de l’obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires au bon état de la structure de l’immeuble (Cass. civ. 3ème, 9 juillet 2008, n°07-14.631, FS-P+B+R+I).
La « loi Pinel » a introduit dans le Code de commerce des dispositions qui règlementent la répartition de ces dépenses : l’article L.145-40-2 du Code de commerce, texte d’ordre public auquel il ne pourra être dérogé puisqu’il fait partie des dispositions visées par l’article L.145-15 du Code de commerce.
Ces dispositions visent, pour l’essentiel, à rendre plus transparente la répartition des charges entre le bailleur et le preneur dès la conclusion du bail et en cours de bail. Il limite également la possibilité de transférer au preneur des charges qui incombent normalement au bailleur.
L’article L.145-40-2 du Code de commerce dispose, en son dernier alinéa, qu’un décret en Conseil d’Etat précisera les charges, les impôts, taxes et redevances qui, en raison de leur nature, ne pourront être imputés au locataire.
Ce fut, notamment, l’objet du décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014, relatif au bail commercial, publié au Journal officiel du 5 novembre 2014. Il a créé un nouvel article R.145-35 du Code de commerce qui dresse la liste des charges, travaux, impôts, taxes et redevances relatifs aux parties privatives et communes qui ne peuvent pas être mis à la charge du locataire : les grosses réparations, les travaux de vétusté ou de mise en conformité avec la réglementation relevant des grosses réparations, certains impôts, taxes et redevances (la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l’usage du local ou de l’immeuble ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement peuvent toutefois être mis à la charge du locataire), les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l’immeuble, les charges, impôts, taxes, redevances et le coût des travaux relatifs à des locaux vacants ou imputables à d’autres locataires.
Les baux conclus avant l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions stipulaient, fréquemment, des clauses contraires à ces dispositions.
Dans l’arrêt objet du pourvoi ayant donné lieu à la décision rapportée (CA Paris, pôle 5 ch. 3, 27 nov. 2019, n°18/01480), la locataire demandait à la cour de juger réputées non écrites comme contraires à la « loi Pinel » et à l’article R.145-35 du Code de commerce les clauses qui, notamment, transféraient au locataire les grosses réparations de l’article 606 du Code civil et les honoraires de gestion des loyers.
III. La sanction des clauses contraires aux dispositions d’ordre public relatives à la répartition des charges
La « loi Pinel » a également modifié l’article L.145-15 du Code de commerce pour substituer à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L.145-4 et L.145-37 à L.145-41 du Code de commerce, leur caractère réputé non écrit.
La Cour de cassation a précisé que cette nouvelle sanction est applicable aux baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi et que l’action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n’est pas soumise à prescription (Cass. civ. 3ème, 19 novembre 2020, n°19-20.405, FS-P+B+I. Voir également Cass. civ. 3ème, 30 juin 2021, n°19-23.038, FP-B+ ; Cass. QPC, 08 juillet 2021, n°20-17.691, FS-D).
IV. L’application dans le temps des dispositions de la loi Pinel relatives aux charges
L’article 21 de la « loi Pinel » dispose que « les articles 3, 9 et 11 de la présente loi ainsi que l’article L.145-40-2 du Code de commerce, tel qu’il résulte de l’article 13 de la même loi, sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation de ladite loi ».
La « loi Pinel » a été promulguée le 18 juin 2014. Les dispositions de l’article L.145-40-2 du Code de commerce sont donc applicables aux « contrats conclus ou renouvelés » à compter du 1er septembre 2014.
Si, aux termes de l’article 1er du Code civil, en principe, « les lois […] entrent en vigueur à la date qu'[elles] fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication », « l’entrée en vigueur de dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures ».
Le dernier alinéa de l’article L.145-40-2 du Code de commerce précise que : « un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. Il précise les charges, les impôts, taxes et redevances qui, en raison de leur nature, ne peuvent être imputés au locataire et les modalités d’information des preneurs ».
La liste des charges, travaux, impôts, taxes et redevances qui ne peuvent plus être imputés au preneur (C. com., art. R.145-35) résulte du décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014, relatif au bail commercial.
L’article 8 du décret du 3 novembre 2014 précise en outre que les dispositions de l’article R.145-35 du Code de commerce sont « applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication du présent décret », à savoir le 5 novembre 2014.
Si l’article 21 de la loi Pinel du 18 juin 2014 prévoit que l’article L.145-40-2 du Code de commerce est applicable aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014, l’entrée en vigueur des dispositions de ce texte, à tout le moins celles relatives aux charges ne pouvant être imputées au preneur, est reportée aux baux conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014.
Dans l’arrêt rapporté, le débat avait porté sur la détermination de la date du renouvellement, au sens de ces dispositions, en raison du fait que plusieurs dates peuvent être retenues.
Concernant la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, la Cour de cassation cite les dispositions de l’article 8 du décret du 3 novembre 2014 qui prévoient l’application des dispositions de l’article R.145-35 du Code de commerce à compter de la publication de ce décret, soit le 5 novembre 2014. C’est donc bien pour les baux conclus ou renouvelés à compter de cette date que les dispositions de l’article R.145-35 du Code de commerce sont applicables.
V. La détermination de la date du renouvellement du bail pour l’application des dispositions de la loi Pinel relatives aux charges
Un bail commercial se renouvelle par l’effet d’un congé avec offre de renouvellement (C. com. Art. L.145-5) (voir, par exemple, Cass. civ. 3ème, 20 septembre 2005, n°04-15.989) ou d’une demande de renouvellement acceptée par le bailleur (C. com., art. L.145-10), alors même qu’il ne peut exister aucun accord sur le montant du loyer en renouvellement, chacune des parties pouvant faire fixer judiciairement le loyer dès lors que l’action n’est pas prescrite (C. com., art. L.145-60). Dans ce cas, il n’est pas nécessaire de signer un nouveau bail (C. Com., art. L.145-57).
La question se pose de savoir, lorsque les parties signent un bail en renouvellement avec une date d’effet différente de celle de la signature, s’il faut retenir la date de conclusion du contrat ou la date d’effet du bail qui y est stipulée, le plus souvent celle, antérieure, du renouvellement par l’effet du congé ou de la demande.
Un auteur soutient que doit être prise en compte la date de signature du contrat (Barbier J.-D., Gaz. Pal. 9 août 2014, n°189k6, p. 47. Voir également Gaz. Pal. 14 avril 2015, n°221q3, p. 6 et Gaz. Pal. 18 août 2015, n°237m2, p. 3). Les dispositions nouvelles seraient ainsi applicables au renouvellement amiable signé à partir de la date de leur entrée en vigueur prévue par le législateur, même si la date d’effet du renouvellement convenue est antérieure. Pour cet auteur, c’est la date de rencontre des consentements qu’il convient de retenir, car c’est à cette date que le contrat est conclu ou renouvelé (Barbier J.-D., Gaz. Pal. 9 août 2014, précité). Inversement, le contrat signé antérieurement au 1er septembre 2014, qui prendrait effet à cette date ou postérieurement ne serait pas soumis à ces dispositions.
En l’absence de signature d’un acte de renouvellement amiable, la question se pose aussi de savoir s’il faut retenir la date de renouvellement fixée par la loi (C. com., art. L.145-12) ou celle à laquelle, le loyer étant définitivement fixé, les parties ne peuvent plus exercer leur droit d’option (C. com., art. L.145-57).
Ce même auteur estime que dans la mesure où « le renouvellement n’est véritablement conclu qu’à la date de l’acceptation, tacite ou expresse, du prix proposé par le juge », le bail ne sera renouvelé qu’à la date à laquelle, après fixation judiciaire du loyer, les parties acceptent expressément ce loyer ou bien laissent passer le délai du droit d’option (Barbier J.-D., Gaz. Pal. 9 août 2014, précité).
Un autre auteur soutient que seule doit être prise en compte la date de prise d’effet du renouvellement, et pas celle de la date de la signature de l’acte de renouvellement ou de l’accord sur le prix. Il retient à l’appui de cette thèse, notamment, que la loi fixe la date d’effet du renouvellement (C. com., art. L.145-12), qu’un bail se renouvelle même en l’absence d’accord sur le prix (Cass. civ. 3ème, 02 février 2000, n°98-12.638) et qu’il n’est pas nécessaire de signer un nouveau bail pour qu’il existe (C. com., art. L.145-57) (Blatter J.-P, De quelques idées originales ou non relatives à l’application dans le temps de la loi du 18 juin 2014, AJDI 2014, p. 741 ; Blatter J.-P., La loi Pinel et le statut des baux commerciaux, AJDI 2014, p.576. En ce sens également : H. Chaoui et M.-O. Vaissié, Rev. loyers 2015/953, n°1958).
Selon l’arrêt commenté, les juges du fond avaient précisé que « les dispositions de l’article R.145-35 du Code de commerce ne s’appliquent pas à la date de signature du bail renouvelé ou à la date de fixation définitive du loyer […], mais à la date de la prise d’effet du contrat renouvelé, en ce compris la date de prise d’effet du loyer du bail renouvelé ». Il peut être précisé que le loyer en renouvellement peut prendre effet à une date postérieure à celle du renouvellement si le bailleur a tardé à former une demande de modification du loyer en renouvellement (C. com., art. L.145-11).
Dans son arrêt du 17 juin 2021, la Cour de cassation, à l’instar des juges du fond, a décidé de retenir, en présence d’un renouvellement par l’effet d’un congé, la date d’effet du bail renouvelé : « un contrat est renouvelé à la date d’effet du bail renouvelé ».
En l’espèce, le bail ayant été renouvelé par l’effet du congé du bailleur à effet au 1er avril 2014, soit antérieurement au 5 novembre 2014, les dispositions des articles L.145-40-2 et R.145-35 du Code de commerce n’étaient pas applicables au bail et les clauses litigieuses ne pouvaient donc être réputées non écrites.
Cette décision n’a pas été rendue dans un cas où un acte de renouvellement amiable avait été signé. La généralité des termes du chapeau inciterait à conclure que c’est la date d’effet contractuellement prévue qui pourrait prévaloir dans cette hypothèse.
À rapprocher : Loi n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel » ; Article L.145-40-2 du Code de commerce ; Décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014 ; Article R.145-35 du Code de commerce