La défense du droit de propriété face au droit de préférence

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RAIMBERT Benoit

Avocat associé

Le droit de préférence dont bénéficie le preneur à bail d’un local commercial aux termes de l’article L.145-46-1 du Code de commerce peut constituer, dans des cas extrêmes, une limitation préoccupante au droit de disposer du propriétaire des murs. Les effets doivent être strictement encadrés. Si les cas extrêmes ne sont pas les plus nombreux ni les plus représentatifs, ils sont toutefois à l’origine des dernières mises au point apportées, au nom de la défense du droit de propriété du bailleur, par la jurisprudence et par une récente réponse ministérielle.

Le cas d’un preneur qui a souhaité obtenir la nullité d’une vente

Un preneur à bail d’un local commercial avait entrepris, le 16 septembre 2016, de solliciter en justice la nullité de la vente incluant son local et divers autres locaux situés dans le même immeuble sous motif que son droit de préférence n’avait pas été préalablement purgé.

Le preneur n’entendait pas s’en tenir à l’esprit parfaitement limpide du texte[1] et avait cru déceler une imprécision dans l’énumération légale (pourtant assez complète) des types de transactions échappant expressément à l’application du droit de préférence du locataire[2].

Selon lui, il aurait dû être mis en mesure d’acquérir son local dès lors que la vente n’a porté ni sur la « cession globale » de l’immeuble (mais sur certains locaux seulement), ni sur une cession unique de locaux « distincts » (parce qu’étant situés dans le même immeuble. Les locaux vendus n’auraient pas été « distincts » au sens de l’article L.145-46-1 du Code de commerce).

Des décisions de justice rassurances pour le bailleur

Déjà débouté en 1ère instance, le preneur l’a également été en appel par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 mars 2021[3]. La solution ne faisait pas nécessairement beaucoup de doute mais le risque inhérent à l’aléa judiciaire a malgré tout pesé tant sur l’ancien propriétaire des locaux vendus que sur le nouveau pendant les 4 ou 5 années de procédure.

S’il avait été mal intentionné, le locataire aurait très bien pu se servir de l’incertitude artificiellement créée par ses propres soins quant à la validité comme d’un levier de négociation auprès de son bailleur (ou de l’ancien).

De ce point de vue, l’arrêt de la cour d’appel est rassurant pour les bailleurs. Tout comme les termes de la réponse ministérielle du 22 avril 2021[4] qui commencent par rappeler que « le droit de préférence étant une limite à l’exercice du droit de propriété, les conditions d’exercice doivent connaître une interprétation stricte ».

La nécessité d’affirmer la protection des droits du bailleur soulève des interrogations

Le besoin, nouvellement affirmé, de protection des droits du propriétaire du local a de quoi interroger au regard du fondement même du droit de préférence du locataire, qui a été instauré précisément pour insécuriser le bailleur.

À l’origine en effet, ce droit de préférence a été conçu comme le moyen de mettre un terme au rapport locatif considéré comme un élément d’incertitude et de fragilité pour le locataire (propriétaire du fonds de commerce), qui se trouverait à la merci d’une augmentation imprévue de ses charges ou de son loyer à l’initiative de son bailleur.

Une telle conception revient à ignorer (ou à considérer comme étant insuffisante) la protection offerte aux locataires par le statut des baux commerciaux qui interdit qu’un bailleur puisse unilatéralement et sans justifications légitimes modifier le loyer et/ou la nature et le montant des charges qu’il refacture à son ou à ses locataires.

Elle revient également à perdre manifestement de vue que l’existence et le maintien du bail (et plus particulièrement le droit au renouvellement de celui-ci) constitue précisément, contrairement au parti pris ayant conduit à l’instauration du droit de préférence légal, un élément essentiel de la valeur du fonds de commerce (et non pas une menace pour la pérennité de l’exploitation).

Et c’est enfin donner aux locataires une arme contre leur propriétaire qui apparaît paradoxalement encore plus puissante quant le droit de préférence n’a pas vocation à s’appliquer.

Force est en effet de reconnaître que le locataire, qui exerce son droit de préférence lorsqu’il en bénéficie effectivement, ne présente pas un danger considérable pour son propriétaire.

En revanche, lorsqu’un locataire entreprend, même contre les évidences, de faire valoir à l’encontre de son propriétaire le bénéfice de son droit de préférence légal, il se place en situation de paralyser voire de remettre en cause des transactions d’envergure dont l’objet et l’enjeu dépassent très largement le local du preneur. Ce faisant, le locataire peut imaginer obtenir, en contrepartie de la renonciation à ses prétentions vraisemblablement illégitimes des avantages auxquels il n’aurait pas pu prétendre sinon dans le cadre de l’exécution et/ou du renouvellement de son bail.

La reconnaissance jurisprudentielle du caractère d’ordre public du droit de préférence du locataire n’a sûrement pas été de nature à remédier à cet inconvénient. Cela aurait certainement pu être surmonté pour l’essentiel si, comme cela était d’ailleurs prévu lorsqu’elles ont été instaurées[5], les dispositions de l’article L.145-46-1 du Code de commerce étaient demeurées simplement supplétives de la volonté des parties.



[1] Qui veut que le droit de préférence du locataire ne s’applique, en principe, que si le local commercial objet du bail coïncide exactement avec le bien faisant l’objet du projet de vente du bailleur (hors le cas particulier de la cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial, dans lequel le droit de préférence du locataire du local vendu ne joue pas).

[2] À savoir que le droit de préférence du locataire n’est pas applicable : à la cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial, à la cession unique de locaux commerciaux distincts, à la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux.

[3] CA Paris, 17 mars 2021, n°19/10232

[4] Rép. Min. n°21155, JO Sénat, 22 avril 2021, P. 2702

[5] En effet, la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 dite « Pinel » a institué le droit de préférence de l’article L.145-46-1 du Code de commerce sans pour autant inscrire cet article au nombre de ceux qui sont énumérés comme étant d’ordre public par l’article L.145-15 du Code de commerce.

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