Que distingue le droit de préférence du droit de préemption, de substitution et de propriété ?
La nature du droit conféré au locataire d’un local commercial aux termes de l’article L.145-46-1 du Code de commerce revêt des enjeux de qualification juridique. Ces derniers ont influé sur les précisions apportées au régime applicable à ce droit depuis qu’il est entré en vigueur le 19 décembre 2014. Cette influence s’est essentiellement manifestée :
- La reconnaissance du caractère d’ordre public du droit du locataire,
- La circonstance que le locataire qui acquiert un local commercial au bénéfice du droit que lui confère l’article L.145-46-1 du Code de commerce est dispensé d’avoir à assumer les honoraires d’intermédiation de la transaction,
- Les modalités de purge du droit du locataire.
Il ressort pourtant des débats parlementaires, du texte de l’article lui-même et de la jurisprudence désormais que ce droit est clairement un droit de préférence. Ce qui est beaucoup moins évident, en revanche, c’est ce qui distingue ce droit de préférence de ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire ni droit de préemption, ni droit de substitution, ni droit de priorité.
***
1. Le droit de préférence n’est pas semblable au droit de préemption
Le droit de préférence du locataire, parce qu’il a été légalement institué, est fréquemment assimilé à un droit de préemption. C’est ainsi, en considérant notamment que le droit de préférence de l’article L.145-46-1 ne serait qu’une espèce particulière de la catégorie, plus large, des droits de préemption légaux, que l’avocat général, ayant émis un avis dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 28 juin 2018, a convaincu la Cour de cassation d’affirmer le caractère d’ordre public du droit de préférence du locataire. Parce qu’un droit de préemption légalement institué serait toujours d’ordre public.
Cette assimilation est cependant discutable dès lors qu’une différence de nature entre droit de préférence et droit de préemption pourrait y faire obstacle.
En effet, le prix d’acquisition du bien en cas d’exercice d’un droit de préférence est celui qui a été préalablement notifié au bénéficiaire de ce droit (sans que ce dernier ne puisse en principe le discuter ou le contester).
A l’inverse, le titulaire d’un droit de préemption peut en principe exercer son droit en prétendant acquérir le bien à une valeur vénale de marché dont le mécanisme de fixation, en cas de désaccord entre les parties, est déterminé par la loi comme le droit de préemption lui-même.
La Cour de cassation aurait-elle affirmé de la même façon que le droit de préférence légal du locataire commercial était d’ordre public si elle l’avait considéré comme une variété de droit de préemption ?
Tout au moins, les mobiles de son analyse ne seraient pas exactement les mêmes.
2. Le droit de préférence n’est pas non plus semblable au droit de substitution
Le droit de préférence d’ordre public de l’article L.145-46-1 alinéa 1er du Code de commerce n’est pas non plus un droit de substitution pur et simple de son bénéficiaire dans un contrat de vente dont toutes les conditions auraient au préalable été négociées dans le moindre détail par le propriétaire avec un tiers.
Le droit du bénéficiaire d’un droit de substitution consiste donc uniquement à « prendre ou à laisser » l’acte dont les conditions, qu’il n’a pas négociées lui-même et qu’il ne peut pas discuter, lui sont notifiées. Tel n’est pas le cas du droit de préférence de l’article L.145-46-1 alinéa premier du Code de commerce puisque :
- La loi autorise toujours le locataire, quelles que soient les modalités de la vente qui lui sont offertes (qui peuvent donc être modifiées sur ce point), de conditionner l’exercice de son droit de préférence à l’obtention d’un prêt ;
- La jurisprudence interdit de mettre d’éventuels frais d’intermédiaire à la charge du locataire qui exerce son droit de préférence légal, indépendamment là encore, des accords contraires que le propriétaire pourrait avoir avec un tiers (d’autant que le droit de préférence légal doit être en principe purgé avant toute négociation avec un tiers, dès que le propriétaire « envisage de vendre » son local).
3. Le droit de préférence n’est pas non plus semblable au droit de propriété
C’est précisément parce que le droit de préférence initial du locataire commercial devrait être purgé avant toute négociation avec un tiers que celui-ci est parfois qualifié simple de droit de propriété. La référence à ce terme apparaît également contestable puisque dans le cadre d’un droit de priorité (tel qu’il est légalement défini aux articles L.240-1 et suivants du Code de l’urbanisme), le propriétaire du bien n’est pas libre de fixer lui-même le prix offert au bénéficiaire du droit de propriété (lequel doit correspondre à un prix de marché susceptible d’être fixé judiciairement en cas de désaccord des parties comme en matière de préemption).
Or, aucune contrainte de ce type ne pèse sur le propriétaire d’un local commercial qui met en œuvre ce qui, s’il s’agît de le nommer absolument par autre chose que son nom (c’est-à-dire un droit de préférence), peut être désigné par le terme, plus neutre mais juridiquement indéfini, de droit prioritaire d’acquisition de l’article L.145-46-1 du Code de commerce.
Source : Lettre M2