Réflexions d'Experts
Patrick COLOMER, Expert judiciaire intervenant dans le cadre de contentieux locatifs et d’indemnités d’éviction, aborde notamment dans cette vidéo le marché locatif, la baisse/hausse des loyers et la propriété commerciale.*
Présentez-vous.
Oui, je m’appelle Patrick COLOMER, je suis Expert judiciaire auprès de la Cour d’appel de Paris et agréé par la Cour de cassation, ce qui me confère une compétence nationale.
J’interviens dans le cadre de contentieux locatifs et d’indemnités d’éviction.
Un bail commercial dure 9 ans, donc tous les 9 ans, le propriétaire a deux possibilités :
- Soit il renouvelle le bail,
- Soit il peut faire partir son locataire en lui payant ce qu’on appelle une indemnité d’éviction.
L’intérêt d’aller voir un expert judiciaire en amont est de tenter de trouver un accord avec son propriétaire ou avec son locataire ; et s’il n’y a pas d’accord possible, cela permet d’aller devant le tribunal en connaissant les points forts et les points faibles de son dossier.
Quel est l’état du marché locatif ?
Alors aujourd’hui, le marché locatif est un marché à deux vitesses en ce qui concerne les boutiques où on a les bons emplacements avec des valeurs locatives qui se maintiennent, et les mauvais emplacements, où là on assiste à des baisses de loyers qui sont significatives.
On constate que la restauration s’en sort mieux que les commerces d’équipement de la personne. La restauration n’est pas concurrencée par internet, mais bien au contraire, la restauration bénéficie d’internet à travers la vente à emporter et la vente à livrer. Par contre, un point important : ces activités sont des activités autonomes ; c’est-à-dire que si elles ne sont pas prévues dans le bail, le locataire ne peut pas les exercer.
Comment faire baisser son loyer ?
Il existe deux possibilités de faire baisser son loyer en cours de bail, mais qui ne dépendent pas ni du locataire, ni du propriétaire :
- La première possibilité c’est quand il y a une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, et il faut que cette modification ait entrainé une variation de la valeur locative supérieure à 10 %. C’est-à-dire que c’est très difficile à prouver, non pas le caractère matériel, mais la modification des plus de 10 %. Aujourd’hui on a quand même pas mal d’éléments matériels avec le Grand Paris, le tramway, les nouvelles lignes de métro, …
- La deuxième possibilité c’est quand il y a une clause d’indexation annuelle : c’est-à-dire que le loyer va varier automatiquement tous les ans ou tous les trois ans sans intervention ni du bailleur, ni du locataire. Dès lors que la variation est supérieure à 25 %, là, le loyer peut être réajusté à la hausse ou à la baisse, à la valeur locative.
Quelle valeur locative appliquer ?
Alors, la valeur locative de droit commun c’est la valeur locative du code de commerce. Elle est définie par l’article L.145-33. Cette valeur locative, en fait, ne correspond pas au marché parce qu’il y a un article, un sous-article qui dit qu’on doit tenir compte de l’ensemble des prix couramment pratiqués dans le voisinage. Il s’avère que dans le voisinage je n’ai pas que des locations nouvelles, mais également des renouvellements, des locations nouvelles avec droit d’entrée, des cessions de droit au bail… J’ai tout un panel de prix qui fait que la valeur locative du code de commerce est inférieure à la valeur locative de marché.
Toutefois cette valeur locative – donc minorée en fonction des critères du code de commerce –, elle n’est pas obligatoirement applicable. Si le bail le prévoit, on peut appliquer la valeur locative de marché. Toutefois, il y a une difficulté : il faut définir cette valeur locative de marché puisque le magistrat ne connaît pas les critères de la valeur locative de marché. Si cette valeur locative de marché n’est pas définie, le juge l’appliquera mais il écartera ce qu’on appelle les loyers décapitalisés (c’est-à-dire les droits d’entrée ou les droits au bail), ce qui vous conduira à une valeur locative minorée.
Aujourd’hui, on constate qu’il y a énormément de baisses de loyers parce que les valeurs locatives s’inscrivent en baisse. Par contre, il y a un moyen pour éviter cette baisse : c’est quand le bailleur a prévu un plancher dans le bail ; c’est-à-dire qu’il suffit qu’il soit écrit que le loyer ne pourra pas être inférieur – en cas de révision ou de renouvellement – au loyer en vigueur, et cela bloque toute baisse de loyer, ce qui présente un inconvénient majeur pour les locataires.
Je vous ai parlé des conditions de recevabilité pour pouvoir baisser un loyer en cours de bail ; en fin de bail il n’y a pas de condition de recevabilité pour baisser un loyer puisque le code de commerce prévoit l’application de la valeur locative si elle est inférieure au loyer en vigueur. Par contre, le bailleur peut prévoir un plancher dans le bail, ce qui bloquera la baisse de loyer, ce qui présente un inconvénient majeur pour le locataire.
On constate cependant que, de plus en plus, les locataires rendent les clés dès qu’ils peuvent au propriétaire, ce qui génère des négociations avec des baisses de loyers en cours de bail, alors que l’action n’est pas recevable juridiquement.
L’étalement de l’augmentation de loyer peut-il être limité dans le temps ?
La loi dite Pinel a instauré le principe de l’étalement de l’augmentation du loyer par palier de 10 % en fonction du loyer acquitté l’année précédant le renouvellement.
Il est possible de limiter dans le temps cette augmentation de loyer. Par exemple, si vous avez un loyer de 20 000 euros et une valeur locative de 50 000 euros, si on augmente par palier de 10 % les 20 000 euros, on s’aperçoit très vite qu’au bout de neuf ans on n’atteindra pas la valeur locative de 50 000 euros.
Il est possible – et c’est paradoxal – en demandant le plafonnement du déplafonnement, d’obtenir la valeur locative au bout de trois ans. Pourquoi ? Parce qu’on va appliquer l’indice à partir du loyer fixé. Donc si à l’origine du bail, la valeur locative fixée est de 50 000, le loyer applicable ne sera que de 20 000, mais au bout de trois ans, on va demander l’application de l’indice sur le loyer fixé, donc celui de 50 000.
Qu’est-ce que la propriété commerciale ?
La propriété commerciale, les locataires pensent qu’ils sont protégés. En fait, ce ne sont pas les locataires qui sont protégés, on protège leur fonds de commerce à travers le droit au renouvellement.
La liberté contractuelle fait que le bailleur peut imputer l’intégralité des charges au locataire. Donc il peut tout récupérer, sauf depuis la loi Pinel : les grosses réparations de l’article 606 du Code civil et les frais de gestion locative. C’est un énorme piège ; il faut que les locataires prennent conscience que ce ne sont pas eux qui sont protégés, mais leur activité à travers le droit au renouvellement.
* Cette interview a été enregistrée au début de l’année 2020, avant le début de la crise sanitaire