CA Versailles, 12e chambre, 30 avril 2020, n°18/08723
L’indication d’un loyer plancher fait échec au caractère automatique de l’indexation exigé par l’article L.112-1 du code monétaire et financier en ce qu’il induit un risque de décrochage de la variation du loyer par rapport à la variation de l’indice. Une telle clause prévoyant un loyer plancher serait donc contraire aux dispositions de l’article susvisé et est ainsi réputée non écrite en son entier.
Un bail commercial est consenti le 10 mai 2011 pour une durée de 9 ans, prenant effet le 15 février 2012.
Une clause d’indexation est insérée au bail, prévoyant notamment que « L’indexation pourra jouer à la hausse comme à la baisse mais ne devra pas avoir pour effet de ramener le loyer en dessous du loyer de base. La clause d’indexation annuelle du loyer constitue une clause essentielle et déterminante sans laquelle le [bailleur] n’aurait pas contracté ». En outre, le bail stipule que l’indexation prend effet le 1er janvier de chaque année.
Le Tribunal de Grande Instance de Versailles déclare non écrite en son entier la clause d’indexation du loyer stipulée au bail. Le bailleur demande alors à infirmer le jugement, au motif qu’il n’est pas interdit aux parties de prévoir, dans le cadre d’un bail commercial, la fixation en cours de bail du loyer à son montant initial si certaines conditions sont réunies. Il soutient que la clause d’indexation est licite puisqu’elle prévoit bien une indexation annuelle et une période de variation de l’indice également annuelle. En tout état de cause, selon lui, une partie de la clause d’indexation est licite et reste applicable en raison de la divisibilité de la clause.
Le preneur quant à lui sollicite la confirmation du jugement. Il fait valoir d’une part le défaut de réciprocité de la clause et d’autre part la présence d’une distorsion entre la période de variation indicielle et la durée entre deux indexations, soutenant que la clause d’indexation forme un tout et ne peut dès lors qu’être réputée non écrite dans son intégralité.
La Cour d’appel confirme le jugement de première instance, en indiquant qu’en ce qui concerne la première indexation, il existe bien une distorsion entre l’intervalle de variation annuelle de l’indice prise en compte pour le calcul et l’intervalle entre la date de prise d’effet du bail et la première indexation annuelle au 1er janvier de l’année suivante, distorsion prohibée par l’article L.112-1 du code monétaire et financier.
En outre, s’agissant du loyer plancher, la Cour d’appel retient que l’indication d’un loyer plancher fait échec au caractère automatique de l’indexation exigé par l’article L.112-1 du code monétaire et financier car il induit un risque de décrochage de la variation du loyer par rapport à la variation de l’indice. En effet, si l’application de l’indice aboutit à la fixation d’un loyer inférieur au loyer plancher sur une année donnée, l’indexation ne sera pas mise en œuvre sur cette période, de sorte que la période de variation de l’indice sera ensuite supérieure à la durée s’écoulant entre deux indexations.
La clause en ce qu’elle prévoit un loyer plancher est donc contraire aux dispositions de l’article L.112-1 du code monétaire et financier. La Cour de cassation s’était déjà prononcée dans le même sens (Cass civ 3e, 9 février 2017, n°15-28.691).
L’absence de dissociation des dispositions de la clause d’indexation s’explique d’autant plus ici selon la Cour qu’il est indiqué dans le bail que « la clause d’indexation annuelle du loyer constitue une clause essentielle et déterminante sans laquelle [le bailleur] n’aurait pas contracté ». La clause d’indexation serait donc une stipulation essentielle et déterminante de la volonté du bailleur, sans laquelle le bail n’aurait pas été conclu.
Il ne serait donc pas possible de distinguer entre les diverses parties de cette clause, entre celles qui sont illégales et celles qui ne le sont pas. Les composantes de la clause d’indexation y compris celles portant sur le loyer plancher et la distorsion relevée en ce qui concerne la première indexation forment alors un tout indivisible.
Dès lors, le preneur est fondé à solliciter la restitution des sommes versées en exécution de l’indexation basée sur une clause réputée non écrite dans la limite de la prescription quinquennale. Ce n’est pas, contrairement à ce que soutient le bailleur, parce que le preneur a versé les loyers appelés, qu’il a renoncé à contester la validité de la clause d’indexation.
Si les récents arrêts de la Cour de cassation avaient permis de « sauver » la clause d’indexation en réputant non écrite exclusivement la partie de clause litigieuse, il semblerait que ce ne soit pas toujours possible lorsque la distorsion se poursuit au-delà de la première révision.
Telle est également la position de la Cour d’appel de Versailles. Si nul ne peut dire pour l’avenir que le risque de distorsion n’existe pas, pour la période passée en revanche on relèvera que le juge ne retient pas d’apprécier si le plancher a ou non concrètement impacté le montant du loyer. Dommage ?
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