Cass. civ. 3ème, 27 février 2020, n°18-20.865
Lorsque les travaux nécessaires à l’éradication de la mérule entrepris par le bailleur rendent, pendant leur exécution, les locaux impropres à l’usage auquel ils sont destinés, le preneur est autorisé à soulever l’exception d’inexécution afin de suspendre le paiement des loyers et des charges et, de façon plus générale, l’exécution des obligations qui lui incombent.
Un bailleur donne en location des locaux à usage de commerce et, en cours de bail, un traitement fongicide pour éradiquer la mérule présente dans les locaux loués doit être effectué dans une partie de ces derniers (60 m² sur les 160 m² loués). Les travaux dureront deux ans.
Le bailleur délivre à son preneur un commandement visant la clause résolutoire pour le paiement des arriérés de loyers pour enfin l’assigner en constatation de la résiliation du bail commercial et paiement. Le preneur s’y oppose et invoque l’absence de délivrance conforme des locaux.
La cour d’appel de Rouen fait droit à la demande du bailleur en retenant que celui-ci a satisfait à son obligation légale de délivrance et d’entretien de son immeuble prévues à l’article 1719 1° et 2° du Code civil en effectuant les travaux nécessaires à l’éradication de la mérule et à la remise en état des locaux, à la suite desquels il n’est pas démontré que les locaux ne seraient pas utilisables conformément à leur destination.
La Cour précise qu’il ne peut pas être fait grief au bailleur d’avoir respecté son obligation d’exécuter les travaux d’éradication rendus nécessaires et ne retient pas de manquement grave à l’obligation du bailleur ; de sorte que toujours selon elle, le preneur ne pouvait pas décider unilatéralement de suspendre l’exécution de ses obligations de paiement des loyers.
La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel, au motif qu’elle n’a pas recherché, comme il lui était demandé, si les travaux entrepris avaient rendu, pendant leur exécution, les locaux impropres à l’usage auquel ils étaient destinés, ce qui serait de nature à justifier, au cours de cette période, l’exception d’inexécution soulevée par le preneur.
Ainsi, si des travaux effectués par le bailleur en cours de bail rendent les locaux impropres à l’usage auquel ils sont destinés, conduisant à l’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance, le preneur est autorisé à soulever l’exception d’inexécution (ancien article 1184 du Code civil, nouvel article 1219 du Code civil).
Il importe peu qu’une fois les travaux achevés, les locaux puissent être regardés comme étant finalement de nature à permettre au preneur un usage conforme à leur destination.
Si le bailleur, en effectuant des travaux d’entretien sur le local afin qu’il soit en état de servir à l’usage pour lequel il a été loué, satisfait à son obligation de l’article 1719 2° du Code civil, il ne respecte cependant pas son obligation de délivrance conforme de la chose louée prévue au même article à son 1°.
L’obligation de délivrance conforme s’apprécie donc également pendant l’exécution des travaux et non pas seulement après leur réalisation.
Enfin, dans sa motivation, la Cour de cassation retient que c’est à raison du fait que les locaux loués sont « impropres à l’usage » que l’exception d’inexécution est justifiée et finalement ce ne serait pas tant de savoir si le preneur pouvait toujours ou non exploiter tout ou partie des locaux loués pendant la réalisation desdits travaux.
Cet arrêt fait écho à l’actualité alors que nous traversons une crise sanitaire rendant les locaux commerciaux inaccessibles ou très difficilement exploitables à raison des mesures gouvernementales de lutte contre la propagation du Covid-19 et qu’un débat s’élève sur l’obligation de délivrance du bailleur à ce titre.
A suivre donc.
A rapprocher : Article 1719 du Code civil ; Article 1184 du Code civil, ancien ; Article 1219 du Code civil