CE, 27 janvier 2020, 4ème et 1ère chambres réunies, n°423529
Par un arrêt en date du 27 janvier 2020, le Conseil d’Etat vient préciser que « (…) lorsqu’à la suite d’une annulation contentieuse d’une décision de la CNAC antérieure au 15 février 2015, celle-ci statue à nouveau sur la demande d’autorisation commerciale dont elle se trouve saisie du fait de cette annulation, l’acte par lequel elle se prononce sur le projet d’équipement commercial a le caractère d’une décision, susceptible de recours pour excès de pouvoir, et non d’un avis, à la condition qu’il n’ait été apporté au projet aucune modification substantielle au regard des règes dont la commission nationale doit faire application. Il en va ainsi même si la CNAC se prononce à nouveau après le 15 février 2015 ».
Dans cette affaire, le refus opposé par la CNAC à une demande d’autorisation d’exploiter présentée en 2013 avait été annulé par la cour administrative d’appel en mai 2015, laquelle avait enjoint à la CNAC de se prononcer de nouveau, ce qu’elle a fait le 3 mars 2016 en délivrant l’autorisation sollicitée. Cette décision favorable avait permis la délivrance d’un permis de construire le 9 mai 2017.
Les opposants au projet avaient alors de nouveau saisi le juge administratif, d’une part contre le permis de construire notamment en tant qu’il valait autorisation commerciale (PCVAEC), et d’autre part, et cette précaution fut bien utile, directement contre la décision de la CNAC (AEC).
La cour administrative d’appel a rejeté les deux requêtes : le recours introduit contre le permis de construire en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale et rejeté sur le fond, tandis que le recours formé contre la décision de la CNAC est déclaré irrecevable.
Le Conseil d’Etat, qui n’était pourtant saisi que d’un pourvoi contre le premier des deux arrêts, censure les deux décisions.
Il déclare d’abord irrecevable le recours introduit contre le PCVAEC après avoir considéré que la décision rendue par la CNAC devait être considérée comme une décision directement susceptible de recours, et non comme un avis. Il considère donc que le permis du 9 mai 2017 ne pouvait être attaqué « en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commercial ».
Tirant les conséquences de cette constatation, et relevant le déni de justice induit par le rejet définitif par la Cour, pour irrecevabilité, du recours directement formé par les requérants contre la décision de la CNAC, le Conseil d’Etat déclare cet arrêt nul et non avenu et renvoie à la Cour le jugement de la requête dirigée contre l’autorisation d’exploitation commerciale du 3 mars 2016.
Pour approfondir :
Le contentieux des permis de construire portant sur des équipements commerciaux n’en finit pas de donner lieu à précisions juridictionnelles, en particulier s’agissant des projets autorisés durant la phase dite « transitoire », celle du passage de l’ancien régime de la double autorisation d’urbanisme et d’exploitation commerciale, au nouveau régime de l’autorisation unique (permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale), il y a désormais près de 5 ans.
Un premier arrêt du Conseil d’Etat était venu mettre de l’ordre dans les interprétations divergentes des cours administratives d’appel : aux termes d’un arrêt du 14 novembre 2018 désormais communément désigné « MGE NORMANDIE » (n°409833, publié au Lebon, Conclusions S.-J. Lieber à l’AJDA 2018 p. 2406) la Haute assemblée avait posé le cadre d’analyse relativement clair selon lequel :
- Pour tous les permis de construire délivrés avant le 15 février 2015, le PC ne vaut jamais AEC, que cette dernière intervienne avant ou après cette date, ce qui suppose que chaque acte pris isolément peut faire l’objet d’un recours ;
- Il en est de même des permis délivrés après le 15 février 2015 sur la base d’une décision de la CNAC antérieure à cette même date : les deux actes sont distincts et sont susceptibles de recours ;
- Tous les permis délivrés après le 15 février 2015 sur la base d’une décision de la CNAC délivrée après cette même date valent PCVAEC, lequel est donc seul susceptible de recours.
Dans cette affaire, la CNAC s’était prononcée favorablement sur la demande d’AEC le 6 mai 2015, tandis que la mairie avait délivré le permis de construire le 24 juin 2016 : les deux décisions étant postérieures au 15 février 2015, seul le permis de construire pouvait donc être contesté en tant qu’il valait autorisation d’exploiter.
Subsistait cependant l’hypothèse particulière du permis de construire délivré postérieurement au 15 février 2015 sur la base d’une décision de la CNAC également postérieure à cette date, mais prononcée après annulation d’une précédente décision défavorable, elle-même rendue avant le 15 février 2015.
Cette dernière considère que la seconde décision, si elle est postérieure au 15 février 2015, vient en réalité ressaisir la CNAC du recours dont elle avait été saisie avant l’entrée en vigueur de la réforme, et que la décision qu’elle rend sur ce recours consiste donc en une décision et non pas un avis préalable au permis de construire délivré.
En l’espèce, il est heureux que le requérant ait, dans le doute, saisi la juridiction administrative de deux recours, le premier contre le permis de construire en tant qu’il vaut AEC, et le second directement contre l’AEC.
Si les pouvoirs généraux de régulation dont le Conseil d’Etat est investi lui ont permis de déclarer nul et non avenu l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes déclarant irrecevable le recours directement formé contre l’AEC, force est de souligner que ladite régulation n’aurait pas été nécessaire si les dispositions transitoires figurant au décret du 12 février 2015 avait été plus limpides…
A rapprocher : CE, 14 novembre 2018, société MGE Normandie et autres, n° 409833, p. 421