Baux commerciaux : des effets de la vente immobilière sur les obligations du bailleur initial

Cass. civ. 3ème, 23 janvier 2020, n°18-19.589

En cas de vente des locaux donnés à bail, le bailleur originaire n’est pas déchargé à l’égard du preneur des conséquences dommageables de l’inexécution de ses obligations par une clause contenue dans l’acte de vente subrogeant l’acquéreur dans les droits et obligations du vendeur.

En l’espèce, le propriétaire d’un immeuble a consenti un bail à usage commercial à un preneur. Les locaux n’étant pas conformes, le bailleur est condamné à faire réaliser des travaux sur l’immeuble, pour manquement à son obligation de délivrer un local conforme aux normes en vigueur (TGI Nanterre, 26 mai 2016). Le preneur est cependant débouté de ses autres demandes. L’immeuble donné à bail est vendu postérieurement à cette condamnation, à savoir le 31 janvier 2017, et ce sans que les travaux judiciairement imposés n’aient été réalisés.

Le preneur interjette appel et demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté certaines de ses demandes. Le nouveau bailleur, propriétaire des locaux, intervient de manière volontaire à l’occasion de l’appel. Par un arrêt du 26 avril 2018, la cour d’appel de Versailles condamne in solidum le bailleur initial, vendeur, et le nouveau bailleur, acquéreur, à payer au preneur des dommages-intérêts.

Le bailleur initial forme alors un pourvoi au motif qu’il avait cédé son bien, qu’une clause de subrogation expresse était insérée à l’acte de vente, précisant que « le vendeur a subrogé l’acquéreur dans tous ses droits et obligations au titre des procédures existantes avec les locataires au jour de la vente » et qu’une cession de créance au titre des impayés de loyers avait été régularisée.

La question était alors de déterminer si le vendeur, condamné à réaliser des travaux antérieurement à la vente, était déchargé ou non de ses obligations par une clause de subrogation de tous droits et obligations au titre des procédures existantes avec les locataires, insérées dans l’acte de vente.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’arrêt d’appel, au motif qu’en cas de vente des locaux donnés à bail, le bailleur originaire n’est pas déchargé à l’égard du preneur des conséquences dommageables de l’inexécution de ses obligations par une clause contenue dans l’acte de vente subrogeant l’acquéreur dans les droits et obligations du vendeur-bailleur. En effet, le vendeur, bailleur initial n’ayant pas rempli ses obligations de bailleur avant la vente, a engagé sa responsabilité à l’égard du preneur.

Cette solution, permettant de mutualiser les obligations entre ancien et nouveau bailleur, s’inscrit dans la logique des arrêts précédemment rendus par la Cour de cassation. Elle avait en effet retenu dans un arrêt du 14 novembre 2007 que le vendeur n’était pas dispensé de son obligation de prendre en charge les travaux avérés nécessaires lorsqu’il était propriétaire du bien litigieux et qu’ainsi, le locataire pouvait demander au vendeur la réparation des troubles de jouissance subis de par la non-exécution des travaux qu’il aurait dû faire en sa qualité de précédent bailleur, et ce alors même qu’il n’était plus propriétaire du bien. La Cour avait précisé que l’acquéreur n’était pas pour autant dispensé de son obligation de délivrance, et que par conséquent, le preneur pouvait assigner l’un et l’autre des bailleurs pour exécuter cette obligation en nature.  (Cass. civ. 3ème, 14 novembre 2007, n°06-18.430).

Si on peut, lors d’une première lecture, soupçonner un revirement de jurisprudence vis-à-vis de la décision retenue par la même cour le 21 février 2019, ce n’est en réalité qu’un complément venant confirmer cette même jurisprudence.

On se place cette fois-ci du côté du vendeur et non pas de l’acquéreur et il a été retenu que l’acquéreur d’un immeuble pris à bail est tenu, dès son acquisition, d’une obligation envers le locataire de réaliser les travaux nécessaires à la délivrance conforme du bien loué lorsque ces derniers n’ont pas été exécutés par l’ancien propriétaire, quand bien même, antérieurement à la vente, ce dernier aurait été condamné à les réaliser. On a donc dans ces deux cas une condamnation in solidum des bailleurs successifs, et ainsi un preneur pouvant assigner opportunément vendeur et acquéreur.

Cependant ici, la Cour rappelle que le preneur peut passer outre la volonté des parties à l’acte de vente à raison de l’effet relatif des contrats ; le preneur n’étant pas partie à l’acte de vente.

Il est ainsi aisément admis que le principe du transfert du contrat de bail et des obligations qui découle de l’article 1743 du Code civil n’implique pas que toutes les obligations du cédant soient transférées au cessionnaire ; le preneur ayant l’opportunité de rechercher la responsabilité de son bailleur mais également de ses successeurs.

A rapprocher : Article 1743 du Code civil ; Article 1134 du Code civil ; Cass. civ. 3ème, 14 novembre 2007, n°06-18.430 ; Cass. civ. 3ème, 21 février 2019, n°18-11.553 ; CA Versailles, 26 avril 2018, n°17/08154

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