Interprétation de la clause de non-concurrence applicable pendant la durée du bail commercial

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Paris, Pôle 5 – Chambre 3, 11 septembre 2019, n°17/22800

La clause de non-concurrence insérée dans un bail commercial doit être interprétée strictement et dans l’intérêt de celui qui s’oblige.

Par acte sous seing privé en date du 3 août 2011, la société A… a consenti un bail commercial à la société B…, aux droits de laquelle vient la société C… par suite d’une cession de fonds de commerce en date du 31 mai 2012, portant sur un local commercial sis […] pour une durée de dix années entières et consécutives à compter de la date de livraison du local, moyennant un loyer variable calculé au taux de 7,10 % du chiffre d’affaires hors taxes et d’un montant minimum garanti annuel de 45.000 euros, hors taxes et hors charges, payable à compter de la date d’ouverture du local au public et au plus tard le 30 novembre 2011. Le local est à destination de « Vente et jouets de type éducatif pour les enfants, à l’exclusion de toute autre activité, le tout sous l’enseigne E… ». Le local a été livré le 23 août 2011. Par acte extrajudiciaire du 19 mars 2014, la société E… a donné congé des locaux pris à bail, pour le 30 septembre 2014.

Le contenu de la clause de non-concurrence déterminé à l’article 18 des conditions générales du bail intitulé « NON-CONCURRENCE », qui prévoit que : « le preneur s’interdit, pendant toute la durée du bail, de ses prorogations ou renouvellements, de susciter ou d’exploiter directement ou indirectement, toute activité commerciale de même nature à une distance fixée aux conditions particulières, à partir de la limite extérieure quelconque du centre commercial, à l’exception toutefois du maintien en l’état des activités que le preneur exploite déjà à ce jour dans cette zone ». Puis, l’article 18 des conditions particulières du même bail, intitulé « NON-CONCURRENCE », précise quant à lui : « distance de 5 kilomètres, à partir de la limite extérieure du centre commercial ».

Par ordonnance du 4 mars 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi par la S…, se déclarait incompétent au profit du juge du fond pour connaître des demandes tendant à voir ordonner à la société E… de reprendre son activité dans le local loué et à la voir condamner à payer une somme provisionnelle au titre des loyers échus impayés depuis le 1er octobre 2014. Par actes d’huissier de justice des 21 mai et 6 juillet 2015, la S… a assigné la société E… devant le tribunal de grande instance de Paris. Par jugement du 26 octobre 2017, le TGI de Paris a débouté la société E… de sa demande en nullité de la clause de non-concurrence figurant dans le bail du 3 août 2011 la liant à la société S… .

Devant la cour d’appel, la société E… fait (notamment) valoir :

  • que la clause de non-concurrence qui s’applique « pendant toute la durée du bail » est nulle en raison de l’absence expresse de limitation dans le temps, et que le bail durant 10 ans, cette durée est manifestement disproportionnée,
  • à titre très subsidiaire, que la clause interdit la concurrence dans un rayon de 5 km autour du centre commercial de St Orens, que la distance à prendre en compte est celle qui part de la limite extérieure de ce centre commercial jusqu’au magasin nouvellement créé à Labège.

La société A… répond que les articles 18 des conditions générales et particulières du bail stipulent une obligation de non-concurrence pendant la durée du bail et dans un rayon de 5 km à partir de la limite extérieure du centre commercial, que la locataire a ouvert une boutique identique à celle fermée dans le centre commerciale à 4,3 km de ce dernier, que la clause est valable en ce qu’elle est limitée dans le temps et dans l’espace et en ce qu’elle ne porte pas atteinte aux droits de la locataire de manière disproportionnée, que s’agissant de la distance entre les établissements, un procès-verbal d’huissier ne peut être remis en cause par des relevés Mappy d’un site internet, que par ailleurs, la distance à prendre en compte est une distance à vol d’oiseau, que la nouvelle boutique se trouve à moins de 2 km de l’ancienne.

L’arrêt commenté retient que, au plan des principes, les clauses de non-concurrence doivent être interprétées strictement et dans l’intérêt de celui qui s’oblige (soit la société E… en l’espèce) et que, en l’espèce, contrairement à ce qu’allègue la société A…, aucune mention « à vol d’oiseau » ne figurant dans la clause, « la distance doit être calculée par la route, ce qui constitue le moyen habituellement utilisé pour rejoindre deux points géographiques situés dans des communes différentes ».

L’arrêt commenté, qui doit être approuvé, suscite deux observations rapides.

En premier lieu, le principe d’interprétation stricte des clauses de non-concurrence n’est pas nouveau (De l’interprétation des clauses de non-concurrence (Evolutions jurisprudentielles), LDR 17 septembre 2008, spéc. §. 1 ; v. aussi, J. Mestre et D. Velardochio, Lamy sociétés commerciales, 2008, n°1031).

En second lieu, la règle selon laquelle la convention s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation est inscrite à l’article 1162 ancien du Code civil (« Dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »), puis – depuis la réforme du droit des contrat –, à l’article 1190 du même code, selon lequel : « Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé ».

A rapprocher : De l’interprétation des clauses de non-concurrence (Evolutions jurisprudentielles), LDR 17 septembre 2008

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