Cass. civ. 3ème, 31 mai 2018, n°16-25.829
La cession simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété de biens ruraux à deux personnes distinctes s’analyse en une aliénation à titre onéreux de biens immobiliers au sens de l’article L.143-1 du Code rural et de la pêche maritime pris dans sa rédaction antérieure à la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 et se trouve donc soumise au droit de préemption de la SAFER, sans qu’il soit nécessaire de prouver une fraude.
Ce qu’il faut retenir : La cession simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété de biens ruraux à deux personnes distinctes s’analyse en une aliénation à titre onéreux de biens immobiliers au sens de l’article L.143-1 du Code rural et de la pêche maritime pris dans sa rédaction antérieure à la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 et se trouve donc soumise au droit de préemption de la SAFER, sans qu’il soit nécessaire de prouver une fraude.
Pour approfondir : Par acte authentique du 17 septembre 2012, les propriétaires de terrains agricoles en ont vendu séparément l’usufruit à un particulier et la nue-propriété à un groupement foncier agricole. Le notaire instrumentaire a adressé à la SAFER le 30 août 2012 une déclaration d’opération exemptée du droit de préemption en partant du postulat qu’il s’agissait d’une vente réalisée en démembrement de propriété non soumise de ce fait au droit de préemption de la SAFER au sens de l’ancien article L.143-1 du Code rural et de la pêche maritime.
Considérant cette déclaration non comme une simple information, mais comme une offre de vente soumise au droit de préemption, la SAFER a notifié à l’usufruitier et au nu-propriétaire des terrains le 24 octobre 2012 son intention de se prévaloir de ce droit avant de saisir, par actes du 21 février 2013, le Tribunal de grande instance afin de voir prononcer l’annulation de la vente, et sa substitution dans les droits des acquéreurs.
Par jugement du 28 mai 2015, le Tribunal de grande instance a fait droit aux prétentions de la SAFER en annulant l’acte de vente du 17 septembre 2012 et en la substituant dans les droits des acquéreurs. La Cour d’appel a confirmé ce jugement jugeant que si l’ancien article L.143-1 du Code rural et de la pêche ne s’appliquait pas à la vente du droit d’usufruit ou de la nue-propriété séparément mais uniquement à la cession de biens immobiliers, il s’appliquait néanmoins en l’espèce dans la mesure où l’acte de vente emportait cession de ces deux droits simultanément, même à des acquéreurs distincts.
La Cour de cassation a considéré que l’acte authentique du 17 septembre 2012 constituait la vente, non pas de l’usufruit ou de la nue-propriété des biens concernés, mais celle de ces deux droits simultanément, de sorte qu’il avait pour objet le transfert, en une seule opération, de la pleine propriété, même si l’usufruit et la nue-propriété étaient cédées à deux personnes distinctes. La Cour de cassation confirme ainsi l’arrêt d’appel en ce qu’il a retenu, sans procéder à la recherche d’une intention frauduleuse, que l’aliénation était soumise au droit de préemption de la SAFER et devait donc être annulée. Néanmoins, contrairement à la Cour d’appel, la Cour de cassation refuse de juger que la SAFER serait substituée dans les droits des acquéreurs dans la mesure où le notaire avait envoyé à la SAFER une simple déclaration d’opération exemptée du droit de préemption et non pas une notification valant offre de vente.
Il convient de souligner que l’arrêt commenté a été rendu sous l’empire du droit antérieur à la Loi n°2014-1170 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014. Sous l’empire du droit antérieur, il était admis que la vente de l’usufruit, d’une part, et de la nue-propriété, d’autre part, de biens ruraux échappait au droit de préemption de la SAFER, sauf en cas de fraude.
Dorénavant, la cession de l’usufruit ou de la nue-propriété de biens ruraux est en principe soumise au droit de préemption de la SAFER (article L.143-1 al.5 du Code rural) sous la condition suivante : elle ne peut préempter la nue-propriété de ces biens que dans les cas où elle en détient l’usufruit ou est en mesure de l’acquérir concomitamment, ou lorsque la durée de l’usufruit restant à courir ne dépasse pas deux ans.
A rapprocher : Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt n°2014-1170 du 13 octobre 2014 ; Article L.143-1 du Code rural ; Cass. civ. 3ème, 15 décembre 2016, n°15-27.518 (pour la cession simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété à un même acquéreur).