Décision n°2017-683 QPC du 9 janvier 2018
Le Conseil Constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de l’article 10 de la loi n°75-1351 du 31 décembre 1975 (modifiées par la loi n°2014-366 du 24 mars 2014) portant spécifiquement sur le droit de préemption – subsidiaire – des communes en cas de vente d’un immeuble à la découpe comme portant une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par la Constitution.
Ce qu’il faut retenir : Le Conseil Constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de l’article 10 de la loi n°75-1351 du 31 décembre 1975 (modifiées par la loi n°2014-366 du 24 mars 2014) portant spécifiquement sur le droit de préemption – subsidiaire – des communes en cas de vente d’un immeuble à la découpe comme portant une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par la Constitution.
Pour approfondir : Le 9 octobre 2017, le Conseil d’État a renvoyé au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le droit de préemption des locataires et occupants de bonne foi et des communes dans l’hypothèse d’une vente d’un ou plusieurs locaux à usage d’habitation (ou mixte d’habitation et professionnel) suite à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie d’un immeuble en lots.
La loi du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d’habitation a créé un droit de préemption au profit du locataire ou occupant de bonne foi d’un logement dans l’hypothèse d’une vente à la découpe (i.e. vente par appartement). Ce droit a ensuite été étendu aux communes par la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové dans le but de protéger d’avantage les locataires contre des opérations purement spéculatives (v. article 10 de la loi du 31 décembre 1975).
En l’espèce, le propriétaire de plusieurs lots n’ayant fait l’objet d’aucune vente depuis la division initiale de l’immeuble a, lors d’un recours porté devant le Conseil d’État, soulevé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 dans son ensemble.
Le Conseil d’État, considérant que cette question présentait un caractère sérieux, a choisi de la transmettre au Conseil Constitutionnel afin que la constitutionnalité des dispositions de l’article 10 soit tranchée.
Le requérant faisait notamment grief à la loi de ne pas fixer de délai maximum entre la division de l’immeuble en lots et l’exercice du droit de préemption par le locataire ou l’occupant. Il pointait également du doigt l’absence de motif d’intérêt général du droit de préemption créé au profit des communes par la loi du 24 mars 2014.
Le Conseil Constitutionnel a répondu à cette question prioritaire de constitutionnalité le 9 janvier 2018. Il rappelle que le droit de préemption, qui vient incontestablement restreindre les conditions d’exercice du droit de propriété, n’est conforme à la constitution que s’il est justifié par un objectif d’intérêt général et à condition qu’il ne constitue pas une atteinte disproportionnée à l’exercice du droit de propriété, pour en tirer les conséquences suivantes :
- Constitutionnalité du droit de préemption des locataires/occupants
Le Conseil Constitutionnel déclare les dispositions portant sur le droit de préemption des locataires ou occupants de bonne foi conformes à la Constitution. Il précise que ce droit de préemption ne s’exerce qu’à l’occasion de la première vente du local d’habitation consécutive à la division ou subdivision de l’immeuble. Il s’agit selon le Conseil Constitutionnel de permettre aux bénéficiaires de ce droit de conserver leur logement dans l’hypothèse où dans le cadre d’une opération spéculative ils se verraient par exemple délivrer congé à l’échéance de leur bail ou à l’expiration de leur titre d’occupation par l’acquéreur. En revanche, il émet une réserve d’interprétation estimant que cette protection ne se justifie plus pour les locataires ou occupants de bonne foi dont le bail ou l’occupation sont postérieurs à la division où à la subdivision de l’immeuble.
- En revanche, inconstitutionnalité du droit de préemption des communes
Le Conseil Constitutionnel considère que la condition tenant à l’existence d’un objectif d’intérêt général est remplie, le législateur ayant eu en 2014 la volonté de protéger les locataires et occupants de bonne foi en étendant le droit de préemption de l’article 10 aux communes. Néanmoins, il relève que le législateur n’a pas restreint l’usage que la commune pouvait faire du bien préempté. Rien n’interdit par exemple à la commune de céder à nouveau ce bien après l’avoir préempté.
Le Conseil Constitutionnel revient également sur le fait qu’à défaut d’accord amiable, le prix de vente est fixé par le juge de l’expropriation et que dans cette hypothèse le propriétaire ne peut à nouveau disposer de son bien que passé un délai de 6 mois à compter de la décision de préemption de la commune, de la décision définitive du juge de l’expropriation ou de la date de l’acte ou du jugement d’adjudication. Ainsi, le propriétaire peut se trouver contraint de céder à un prix fixé par le juge et les délais de vente peuvent être nettement allongés.
Le Conseil Constitutionnel juge que ces dispositions sont inconstitutionnelles car elles portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Rappel : Pour mémoire, quatre conditions sont nécessaires pour bénéficier du droit de préemption prévu à l’article 10 de la loi de 1975 :
- 1ère condition tenant à l’objet de la vente : bien vendu dans un immeuble initialement en pleine propriété ayant fait l’objet d’une division en lots de copropriété (ou à un partage de jouissance à temps complet). A l’inverse, ce droit de préemption ne peut jouer si l’immeuble est vendu dans son entier ou encore s’il est, depuis l’origine, soumis au régime de la copropriété.
- 2ème condition tenant aux circonstances de la vente : il doit s’agir de la première vente consécutive à la division de l’immeuble. La loi ne fixe aucun délai suivant la division à partir duquel le droit de préemption tomberait.
- 3ème condition tenant à l’usage des locaux : il doit s’agir de locaux à usage d’habitation ou mixte. Ce droit de préemption ne peut pas s’appliquer à des locaux commerciaux.
- 4ème condition tenant aux bénéficiaires : il s’agit du locataire du bien mis en vente ou de son occupant de bonne foi à la date de la vente, peu importe que le locataire ait pris à bail ou que l’occupant occupe effectivement les locaux postérieurement à la division initiale.
Le locataire qui décide de ne pas préempter n’est pas pour autant déchu de son droit au bail, contrairement à ce que prévoit l’article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989. Il pourra rester dans les locaux et le logement sera vendu occupé.
A rapprocher : Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 ; Décision n° 2014-701 DC du 9 octobre 2014 ; Décision n°2017-748 DC du 16 mars 2017 ; Droit de préemption de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 : les conséquences de la non acceptation de l’offre de vente sont différentes pour ce droit de préemption puisque dans cette hypothèse le locataire est déchu de son droit au bail.