CE, 10 mai 2017, n°398736
Par un arrêt en date 10 mai 2017, le Conseil d’Etat est venu définitivement supprimer la possibilité pour un requérant de contester une décision de préemption qui lui était notifiée en soulevant, par voie d’exception, l’illégalité de la décision instituant le droit de préemption sur le territoire communal.
Ce qu’il faut retenir : Par un arrêt en date 10 mai 2017, le Conseil d’Etat est venu définitivement supprimer la possibilité pour un requérant de contester une décision de préemption qui lui était notifiée en soulevant, par voie d’exception, l’illégalité de la décision instituant le droit de préemption sur le territoire communal.
Pour approfondir : La société ABH Investissement s’était portée acquéreur d’un immeuble situé 60 rue de la Convention à Paris (XVème arrondissement), mais la ville de Paris a exercé son droit de préemption le 11 avril 2013 : en effet, par deux délibérations des 16 et 17 octobre 2006, devenues définitives, la ville de Paris avait institué le droit de préemption urbain sur les zones U du plan local d’urbanisme de la Ville.
Déboutée de sa requête en annulation de cette décision par le tribunal administratif, puis par la Cour administrative d’appel de Paris, la société ABH Investissements a saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation : elle reproche en effet aux juges d’appel d’avoir écarté le moyen qu’elle avait soulevé, tiré de l’illégalité de la délibération des 16 et 17 octobre 2006 instituant le droit de préemption sur le territoire communal.
Le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la cour administrative d’appel.
Il considère que l’acte instituant un droit de préemption urbain « se borne à rendre applicables, dans la zone qu’il délimite, les dispositions législatives et réglementaires régissant l’exercice de ce droit, sans comporter lui-même aucune disposition normative nouvelle », ce qui écarte son caractère réglementaire ; il ajoute que cet acte « ne forme pas (non plus) avec les décisions individuelles de préemption prises dans la zone une opération administrative unique comportant un lien tel qu’un requérant serait encore recevable à invoquer par la voie de l’exception les illégalités qui l’affecteraient, alors qu’il aurait acquis un caractère définitif ».
Le Conseil d’Etat en déduit que les juges d’appel n’ont commis aucune erreur de droit considérant que la requérante ne pouvait, pour contester la décision de préemption qui lui était opposée, soulever l’illégalité de la délibération instituant le droit de préemption sur le territoire communal.
On rappellera ici, comme le fait d’ailleurs le Conseil d’Etat dans son arrêt, que l’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a pour base légale le premier acte, ou a été prise pour son application. Tel est précisément le cas des actes réglementaires, dont l’illégalité peut être soulevée à tout moment, ou des actes non réglementaires lorsque cet acte et la décision ultérieure constituent les éléments d’une même opération, qualifiée alors d’opération complexe.
Le Conseil d’Etat avait déjà jugé que la délibération instituant ou modifiant le périmètre du droit de préemption sur le territoire communal n’est pas une décision réglementaire dont l’illégalité peut être soulevée par exception (CE, 16 juin 1995, n°155202).
Par l’arrêt du 10 mai dernier, qui sera mentionné aux Tables du Recueil Lebon, il juge également que cette délibération ne forme pas non plus avec les décisions de préemption une opération complexe qui permettrait d’en soulever l’irrecevabilité nonobstant son caractère définitif.
On voit là le rétrécissement constant de l’application de la théorie des opérations complexes, et donc de la possibilité, pour les administrés, de se prévaloir de l’illégalité d’anciennes délibérations devenues définitives qui constituent pourtant le support de décisions individuelles plus récentes.
A rapprocher : CE, 26 octobre 2012, n°346947 : impossibilité d’exciper de l’illégalité de la décision de l’acte créateur d’une zone d’aménagement différé contre une décision de préemption mise en œuvre dans la zone.