CA Paris, Pôle 5 - Chambre 3, 17 février 2021, n°18/07905
L’adjonction d’une activité ne peut donner lieu à déplafonnement du loyer s’il s’agit d’une activité dite incluse, c’est-à-dire se rattachant naturellement à la destination contractuelle initiale et à son évolution en fonction des usages ou pratiques commerciales. Evolution notable de la Jurisprudence.
En matière de restauration, dans l’appréciation d’une demande de déplafonnement, en raison de l’adjonction d’une activité de vente à emporter, non prévue au bail, il convient de tenir compte de l’évolution des usages commerciaux.
Il s’ensuit que les activités de vente à emporter de plats confectionnés et cuisinés sur place et de vente de ces plats par internet, avec livraison, constituent une modalité particulière d’exploitation de l’activité de restauration telle que prévue au bail, qui combinée à celle d’alimentation générale que le bail autorise, est conforme à l’évolution des usages commerciaux.
L’adjonction d’une activité ne peut donner lieu à déplafonnement du loyer s’il s’agit d’une activité dite incluse, c’est-à-dire se rattachant naturellement à la destination contractuelle initiale et à son évolution en fonction des usages ou pratiques commerciales.
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Aux termes d’un bail sous seing privé en date du 28 février 2006, portant sur des locaux commerciaux situés à Paris 12ème, l’activité du locataire était définie contractuellement de la manière suivante : « importation exportation de tous produits asiatiques sous toutes les formes gastronomiques artistiques culturelles d’ameublement et d’agrément avec dégustation sur place, alimentation générale et restaurant typiquement exotique c’est-à-dire asiatique. »
Le bailleur avait délivré un congé avec offre de renouvellement pour le 31 décembre 2013, moyennant un loyer fortement augmenté par comparaison à l’application du plafonnement que le locataire revendiquait.
L’expert désigné par le tribunal avait conclu au plafonnement.
Le tribunal, par un jugement du 6 octobre 2017, avait fixé le loyer à la valeur locative, considérant que l’adjonction d’une activité de vente à emporter non incluse au bail, ni connexe, ni complémentaire, constituait une modification notable de la destination contractuelle de nature à entraîner le déplafonnement.
Les deux parties étaient appelantes, la bailleresse estimant le loyer, à juste titre déplafonné, mais sous-évalué par le tribunal.
La bailleresse faisait valoir au soutien de ses demandes plusieurs motifs de déplafonnement, dont celui admis par le tribunal découlant de l’adjonction, sans autorisation, de l’activité de restauration à emporter et la vente par internet.
Le locataire, lui, répliquait que l’évolution des usages commerciaux conduit les magasins d’alimentation générale à prévoir un service de livraison à domicile des produits achetés par les clients et inclut la vente à emporter, que par ailleurs s’agissant de la restauration, celle-ci ne se limitait plus à une activité de consommation sur place mais comprenait aussi l’activité de vente à emporter.
La Cour d’appel, à titre préalable, rappelle que lorsque le preneur a modifié au cours du bail expiré la destination contractuelle des lieux par l’adjonction d’activités, le bailleur peut s’en prévaloir comme motif de déplafonnement, que l’adjonction soit régulière ou irrégulière, si celle-ci est notable.
La Cour d’appel ajoute cependant, que l’adjonction d’une activité ne peut cependant donner lieu à déplafonnement du loyer s’il s’agit d’une activité dite incluse, c’est-à-dire se rattachant naturellement à la destination contractuelle initiale et à son évolution en fonction des usages ou pratiques commerciales.
L’activité de vente à emporter et par internet n’était pas discutée par le locataire. Par ailleurs, la clause de destination contractuelle prévoyait les activités d’alimentation générale et restaurant, typiquement asiatique sans viser la vente à emporter ou par internet.
La Cour d’appel estime que clause de destination contractuelle doit s’interpréter au regard des deux activités combinées d’alimentation générale et de restaurant pour apprécier si la vente à emporter et la livraison par internet peuvent être considérées comme des activités incluses dans la destination contractuelle.
Elle retient finalement que l’activité d’alimentation générale autorise le locataire à vendre des plats cuisinés à emporter ou vendus par internet et livrés aux particuliers et aux ménages et que l’activité de restauration permet, quant à elle, à la société locataire de confectionner et de vendre des plats qu’elle cuisine sur place.
La Cour d’appel précise qu’il convient de tenir compte de l’évolution des usages en matière de restauration traditionnelle, ainsi que de la tendance croissante de permettre à la clientèle, particulièrement en milieu urbain, comme en l’espèce, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile, notamment par l’intermédiaire de plateformes.
La Cour d’appel en déduit qu’il s’ensuit que les activités de vente à emporter de plats confectionnés et cuisinés sur place et de vente de ces plats par internet avec livraison, constituent une modalité particulière d’exploitation de l’activité de restauration combinée à celle d’alimentation générale que le bail autorise, ce qui est conforme à l’évolution des usages commerciaux ; qu’il s’agit donc d’activités incluses dans la destination contractuelle
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la Cour d’appel décide qu’il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de déplafonnement des bailleurs du fait de l’adjonction des activités de vente à emporter et de vente par internet avec livraison.
Les autres motifs de déplafonnement : travaux ayant amélioré l’immeuble, modification des facteurs locaux de commercialité, modification des facteurs locaux de commercialité, nouveaux logements construits, évolution favorable de la population au sein du 12e arrondissement, augmentation de la fréquentation du métro, installation de nouvelles enseignes, sont écartés.
La Cour d’appel a en conséquence infirmé le jugement et appliqué le plafonnement pour fixer le loyer de renouvellement.
Cette décision constitue une évolution notable de la jurisprudence, la possibilité d’une adjonction de l’activité de vente à emporter non prévue au bail, pour les restaurants, étant admise sans qu’il ne soit nécessaire de faire application de l’article 145-47 du Code de commerce, soit une demande de déspécialisation susceptible d’entrainer une augmentation de loyer et d’une indemnité de déspécialisation.
En effet l’activité de vente à emporter est considérée, en raison du changement des usages commerciaux, comme incluse dans l’acticité de restauration.
Il n’y a pas si longtemps la 16ème Chambre de la Cour d’appel de Paris l’avait écarté : CA Paris, 16 mars 2001, n°00/2549 ; CA Paris, 16ème A, 23 mai 2001, n°99/16524.
A l’inverse, la 16ème Chambre B de la Cour d’appel de Paris avait jugé que conformément à l’évolution des besoins de la clientèle, la vente de pizzas sur place et à emporter était incluse dans l’activité de restauration rapide prévue au bail (CA Paris, 16ème B, 11 juin 2009, n° 08/13759).
Il faut remarquer que la crise sanitaire a peut être aidé à faire évoluer la jurisprudence.
En effet, le décret du 29 octobre 2020 interdit l’accueil du public aux restaurants et débits de boissons (ERP N), pour les espaces dédiés aux activités de restauration et débit de boisson mais par dérogation, autorise ces établissements à accueillir du public, pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, de room service pour les bars d’hôtels et de restauration collective sous contrat.
Les décisions à prendre et formalités à accomplir à la fin de cette dérogation pourront être examinées à l’aune de cette nouvelle décision de la Cour d’appel de Paris.
Il convient néanmoins d’inciter à une grande prudence, vu le caractère particulier de la situation locative à double activité d’alimentation générale et restauration.
La Cour de cassation a également déjà fait référence aux usages commerciaux pour valider l’adjonction d’activité connexe ou complémentaire sans autorisation du Bailleur (Cass. civ. 3ème, 16 septembre 2015, n°14-18.708).
On peut raisonnablement penser que les juges auront désormais tendance à se rallier à ce dernier courant.
A rapprocher : CA Paris, 16 mars 2001, n°00/2549 ; CA Paris, 16ème A, 23 mai 2001, n°99/16524 ; CA Paris, 16ème B, 11 juin 2009, n°08/13759 ; Cass. civ. 3ème, 16 septembre 2015, n°14-18.708