Cass. civ. 3ème, 19 décembre 2019, n°18-26.162
L’usufruitier ayant seul le pouvoir de délivrer congé au preneur, il est seul redevable de l’indemnité d’éviction due en application de l’article L.145-14 du Code de commerce et ce, quand bien même le congé en question a été délivré conjointement avec le nu-propriétaire.
En l’espèce, l’usufruitier et le nu-propriétaire d’un immeuble à usage commercial ont fait délivrer ensemble au preneur titulaire d’un bail commercial un refus de renouvellement du bail sans indemnité d’éviction.
Par décision du 20 février 2008, ce refus a été déclaré comme n’étant pas légitimement motivé impliquant dès lors le règlement d’une indemnité d’éviction au profit du preneur.
En appel, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont été condamnés in solidum à payer cette indemnité d’éviction. Les juges du fonds ont retenu qu’ayant ensemble fait délivrer le refus de renouvellement, ils sont tous deux redevables et in solidum de l’indemnité d’éviction.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui se fonde sur l’article 595, alinéa 4 du Code civil ainsi que l’article L.145-14 du Code du commerce.
On sait qu’en cas de démembrement de propriété, l’usufruitier, qui a la jouissance du bien, ne peut en application de l’article 595 du Code civil consentir un bail commercial ou le renouveler sans le concours du nu-propriétaire (en ce sens récemment : Cass. civ. 3ème, 14 mars 2019, n°17-27.560) ou, à défaut d’accord de ce dernier, qu’avec une autorisation judiciaire.
Néanmoins, l’usufruitier a seul le pouvoir de mettre fin au bail commercial et, par suite, de notifier au preneur, sans le concours du nu-propriétaire, un congé avec refus de renouvellement. La règle avait tout d’abord été posée en matière de baux ruraux avant d’être appliquée par la Cour de cassation dans le domaine des baux commerciaux (Cass. civ. 3ème, 9 déc. 2009, n°08-20.512).
Sur la base de ces éléments, la Cour de cassation va retenir ici qu’en cas de refus de renouvellement, puisque c’est l’usufruitier seul qui a la qualité pour donner congé, c’est ce dernier qui devra assumer seul toutes les obligations à l’égard du preneur et, notamment, le versement de l’indemnité d’éviction due en application de l’article L.145-14 du Code de commerce et ce, quand bien même le nu-propriétaire ait participé à l’acte de congé.
On comprend que si la conclusion et le renouvellement du bail commercial constituent des actes de disposition auxquels le nu-propriétaire doit concourir, le refus de renouvellement n’est qu’un acte d’administration pour la conclusion duquel l’intervention du nu-propriétaire n’est pas requise.
Ainsi, dès lors que l’usufruitier est en mesure de refuser le renouvellement de son propre chef, peu importe qu’il en partage l’initiative avec le nu-propriétaire, il est seul redevable de l’indemnité d’éviction.
C’est déjà en ce sens que la cour d’appel de Paris s’était précédemment prononcée pour des faits identiques (CA Paris, ch. 16, sect. A, 18 févr. 2009).
On relèvera donc que certes l’usufruitier est seul débiteur de l’indemnité d’éviction mais qu’en pratique le nu-propriétaire pourrait y avoir intérêt également. Il ne serait donc pas interdit à l’usufruitier et au nu-propriétaire de convenir entre eux de se répartir la charge d’une telle indemnité.
Cet accord ne vaudrait toutefois que dans les rapports entre nu-propriétaire et usufruitier et ne saurait être opposable au preneur ; ici cette discussion aurait pu être menée en amont entre les parties et avant délivrance (conjointe) du congé.
A rapprocher : Cass. civ. 3ème, 14 mars 2019, n°17-27.560 ; Cass. civ. 3ème, 9 déc. 2009, n°08-20.512 ; CA Paris, ch. 16, sect. A, 18 févr. 2009, RG n°08/02599, SARL Média Art c/ M. Francis Piganeau