Cass. civ. 3ème, 6 septembre 2018, n°17-22.026
La résiliation du marché de travaux peut être prononcée aux torts réciproques des parties, dès lors que ni le maître d’ouvrage ni le constructeur ne souhaitent en poursuivre l’exécution.
La résolution d’un engagement a pour effet de mettre un terme au lien contractuel existant entre les parties, étant cependant précisé qu’une telle rupture est qualifiée de résiliation lorsqu’elle ne produit ses effets que pour l’avenir.
Régie par les articles 1224 et suivants du Code civil (qui remplacent – depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations – les dispositions des articles 1184 et suivants anciens du Code civil), la résiliation du contrat peut résulter, suite à un défaut d’exécution de ses obligations par l’une ou les parties, soit de la volonté commune des cocontractants, soit seulement du souhait de l’un d’entre eux.
Il est ainsi prévu, conformément aux dispositions de l’article 1228 du Code civil que : « le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution, ou ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages-intérêts ».
Au titre de son pouvoir d’appréciation, le juge peut, en fonction notamment des fautes commises durant l’exécution du contrat, prononcer la résiliation :
- soit aux torts exclusifs de l’une des parties,
- soit aux torts partagés.
C’est ainsi que par un arrêt du 6 septembre 2018, la Troisième chambre civile de la Cour de cassation a approuvé la décision rendue, le 23 mai 2017, par la Cour d’appel de Grenoble en retenant :
« Mais attendu qu’ayant relevé que les parties n’avaient ni l’une, ni l’autre, voulu sérieusement poursuivre l’exécution du contrat après le dépôt du rapport d’expertise, la Cour d’appel, qui, sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu prononcer la résiliation du marché de travaux aux torts réciproques des parties, a légalement justifié sa décision ».
En l’espèce, des particuliers ont confié à une entreprise de travaux la construction d’une maison individuelle sous leur maîtrise d’ouvrage.
Au cours de la phase d’exécution du marché, les maîtres d’ouvrage ont constaté que leur ouvrage était affecté de diverses malfaçons, de sorte qu’ils n’ont pas réglé le solde du contrat.
Le chantier ayant été arrêté, l’entreprise a assigné les maîtres d’ouvrage en paiement du solde de son marché.
Les maîtres d’ouvrage répliquent à cette demande en paiement en sollicitant à titre reconventionnel que l’entreprise soit tenue d’avoir à les indemniser suite à l’arrêt du chantier et qu’une expertise soit ordonnée pour constater les malfaçons réalisées sur l’ouvrage en cours de construction.
Après le dépôt du rapport d’expertise, aucune issue n’a été trouvée entre les parties. Les maîtres d’ouvrage refusaient de payer le solde des travaux, tandis que l’entreprise ne souhaitait pas exécuter les travaux demandés par ces derniers.
C’est dans ces conditions que l’entreprise a saisi le juge afin que le contrat soit résilié aux torts exclusifs du maître de l’ouvrage.
Toutefois, les juges de la Cour d’appel ont refusé de prononcer la résiliation du contrat aux torts exclusifs des maîtres d’ouvrage compte tenu des nombreuses malfaçons affectant l’immeuble réalisé. La Cour a considéré que « la résiliation du contrat ne peut être prononcée aux torts exclusifs d’une partie que si cette dernière a gravement manqué à ses obligations contractuelles, en l’absence de toute faute de son cocontractant ; qu’à défaut pour la partie demanderesse d’établir un tel comportement de la partie défenderesse, la résiliation peut néanmoins être prononcée aux torts réciproques lorsqu’il est constaté que ni l’une, ni l’autre des parties n’ont voulu sérieusement poursuivre l’exécution du contrat ».
La résiliation a donc été prononcée aux torts réciproques des parties et les maitres d’ouvrage ont été condamnés à verser à l’entreprise la somme de 14,83 € pour solde tout compte. Ces derniers ont formé un pourvoi en reprochant à la Cour d’appel de Grenoble, au visa de l’article 1184 ancien du Code civil, d’avoir prononcé la résiliation aux torts réciproques des parties et d’avoir refusé leur demande d’indemnisation sans rechercher la part de responsabilité qui incombait selon eux à chacune des parties.
Les maîtres d’ouvrage estimaient que la Cour d’appel n’avait pas pris en compte les conséquences dommageables pour chacune des parties qui résultaient de l’interruption du chantier. Si tel avait été le cas, elle aurait, selon eux, dû prononcer la résiliation aux torts exclusifs du constructeur.
Cependant, ce n’est pas l’appréciation de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et qui approuve la Cour d’appel d’avoir prononcé la résiliation du marché aux torts réciproques de chacune des parties.
Comme cela a été relevé par les juges du fond, il est manifeste que ni les maîtres d’ouvrage ni l’entreprise de travaux n’entendaient sérieusement poursuivre l’exécution du marché de travaux après le dépôt du rapport d’expertise.
Cette conséquence était alors suffisante pour justifier la résiliation du contrat aux torts partagés.
La Cour de cassation a validé le principe de cette résiliation, sans examiner les fautes qui étaient reprochées respectivement à chacune des parties durant la phase d’exécution. L’interruption des relations contractuelles résulte de la volonté commune des parties de ne pas poursuivre l’exécution du marché de travaux.
Cette décision a permis de mettre en exergue le pouvoir d’appréciation dont le Juge dispose lorsqu’il est saisi d’une demande de résiliation d’un contrat.
A rapprocher : Cass. civ. 3ème, 18 février 2016, n°14-29.835 ; Cass. civ. 3ème, 8 février 1977, n°75-14.289