Cass. civ. 3ème, 28 février 2018, n°17-13.478, Publié au Bulletin
Les travaux de reprise des chéneaux en toiture d’un bâtiment ne constituant ni un ouvrage, ni un élément constitutif d’un ouvrage, le maître d’ouvrage ne peut actionner la responsabilité décennale de plein droit de l’entrepreneur sur le fondement de l’article 1792 du Code civil.
Ce qu’il faut retenir : Les travaux de reprise des chéneaux en toiture d’un bâtiment ne constituant ni un ouvrage, ni un élément constitutif d’un ouvrage, le maître d’ouvrage ne peut actionner la responsabilité décennale de plein droit de l’entrepreneur sur le fondement de l’article 1792 du Code civil.
Par ailleurs, si la responsabilité contractuelle de droit commun reste en principe applicable, la Cour de cassation juge que ses conditions de mise en œuvre ne sont, en l’espèce, pas réunies et rejette en bloc l’action en responsabilité du maître d’ouvrage, lui refusant ainsi toute indemnisation.
Pour approfondir : Une société exploitant une activité de fabrication de pièces électriques dans une usine a commandé en 2008 des travaux d’étanchéité des chéneaux de la toiture du bâtiment, dont elle est par ailleurs propriétaire, pour un montant de 52 710 € HT.
Suite à la survenance en 2011 d’infiltrations d’eau dans le bâtiment, le maître d’ouvrage a sollicité l’entrepreneur afin qu’il y remédie, sans que son intervention ne parvienne cependant à faire cesser les fuites. Le maître d’ouvrage a, par conséquent, assigné l’entrepreneur en référé afin de voir ordonner une expertise.
Au vu du rapport définitif déposé par l’expert judiciaire en 2014, le maître d’ouvrage a ensuite assigné l’entrepreneur afin d’obtenir sa condamnation à lui verser 305 368,48 € TTC sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil, au titre des travaux de reprise des désordres et de réparation de son préjudice.
A titre subsidiaire, le maître d’ouvrage a invoqué la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entrepreneur sur le fondement de l’article 1147 ancien du Code civil arguant d’un manquement de sa part dans la réalisation des travaux et d’une violation de son devoir de conseil.
La Cour d’appel d’Orléans (Orléans, 15 décembre 2016, n°16/00893) a débouté le maître d’ouvrage de toutes ses demandes, décision validée par la Cour de Cassation qui rejette le pourvoi du maître d’ouvrage :
1. Sur la responsabilité décennale de plein droit de l’article 1792 du Code civil
La Cour d’appel écarte l’application de la responsabilité décennale aux motifs qu’ « en raison de leur modeste importance, sans incorporation de matériaux nouveaux à l’ouvrage, ces travaux en toiture – qui correspondaient à une réparation limitée dans l’attente de l’inéluctable réfection complète d’une toiture à la vétusté manifeste – ne constituaient ni un ouvrage, ni un élément constitutif d’un ouvrage ».
Pour refuser aux travaux réalisés sur les chéneaux la qualification d’ouvrage ou d’élément constitutif d’un ouvrage qui aurait permis l’application de l’article 1792 du Code civil, la Cour d’appel se fonde sur un faisceau d’indices. Premièrement, la toiture sur laquelle l’entreprise est intervenue datait de 1954 et était donc manifestement vétuste ; deuxièmement, les travaux litigieux étaient circonscrits à quelques endroits de la toiture ; troisièmement, le coût des travaux s’élevait à 52 790 € HT alors que l’expert judiciaire a chiffré à 700 000 € HT le coût moyen de réfection de la toiture.
La Cour de cassation, validant le raisonnement de la Cour d’appel, refuse de condamner l’entrepreneur sur le fondement de la responsabilité décennale de l’article 1792 du Code civil.
Cette décision est surprenante dans la mesure où, en jurisprudence, il est admis que les aménagements de structure, telle que la modification d’une toiture, constituent des ouvrages au sens du Code civil, permettant dès lors l’application de la responsabilité de plein droit des constructeurs sur le fondement de l’article 1792 du Code civil.
Cela étant, pour la Cour de cassation, l’importance des travaux est en effet un critère à prendre en compte dans la recherche de la qualification des travaux retenue par les juges du fond.
Elle a, par exemple, jugé que d’importants travaux de réparation de désordres affectant le mur extérieur d’une maison, s’apparentaient à la réalisation d’un ouvrage au sens du Code civil (Cass. civ. 3ème, 26 janvier 2005, n°03-14.427) alors que des travaux d’aménagement tels que la pose et le raccordement de canalisations de plomberie ne pouvaient être considérés comme des travaux de construction (Cass. civ. 3ème, 18 janvier 2006, n°04-18.903).
2. Sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l’article 1147 ancien du Code civil
La Cour d’appel écarte également l’application de la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur, considérant que les conditions de sa mise en œuvre, à savoir : l’existence d’un manquement contractuel, un préjudice indemnisable et un lien de causalité entre eux, ne sont pas réunies, ce que valide la Cour de Cassation.
D’une part, l’entrepreneur n’a pas méconnu ses obligations contractuelles dès lors que la Cour d’appel constate que les travaux réalisés en 2008 ont permis l’utilisation de l’immeuble dans des conditions normales pendant trente-cinq mois, procurant au maître d’ouvrage un « répit très significatif » dans l’attente de la réfection totale de la toiture, lui permettant ainsi de « différer une dépense inéluctable ».
D’autre part, l’entrepreneur n’a pas manqué à son devoir de conseil envers le maître d’ouvrage dès lors que ce dernier, propriétaire du bâtiment et disposant d’un département dédié à la maintenance de son bien, connaissait évidemment l’état de grande vétusté de la toiture.
A rapprocher : Articles 1792 et suivants du Code civil ; Cass. civ. 3ème, 26 janvier 2005, n°03-14.427 ; Cass. civ. 3ème, 18 janvier 2006, n°04-18.903