Cass. civ. 3ème, 7 décembre 2017, n°13-13.309 ; Cass. civ. 3ème, 21 décembre 2017, FS-P+B+I, n°16-25.406
Par deux arrêts rendus à quelques semaines d’intervalle, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre des décisions ayant ordonné, à la demande d’un voisin, la démolition de constructions réalisées par le propriétaire de la parcelle contigüe.
Ce qu’il faut retenir : Par deux arrêts rendus à quelques semaines d’intervalle, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre des décisions ayant ordonné, à la demande d’un voisin, la démolition de constructions réalisées par le propriétaire de la parcelle contigüe. Dans la première affaire, c’est la sanction du trouble anormal de voisinage créé par une construction réalisée en limite de propriété qui est analysée. Dans la seconde, la Cour de cassation confirme la sanction de la démolition de la construction qui empiète sur la propriété voisine, peu important le caractère minime de cet empiètement.
Pour approfondir : Dans la première affaire (Cass. civ. 3ème, 7 décembre 2017, n°13-13.309), Mme X, propriétaire d’un terrain sur lequel est implantée sa maison d’habitation, a fait construire un second immeuble en limite de la propriété voisine appartenant à Mme Y.
Cette dernière, considérant subir un trouble anormal du voisinage résultant d’une perte d’ensoleillement, a demandé, pour faire cesser ce trouble, la démolition de cette construction.
Il a été fait droit à cette demande par les juges du fond, de sorte que Mme X a formé un pourvoi en cassation.
Comme tout justiciable en perdition avec les dispositions de son droit national, elle a invoqué les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et notamment l’article 1er de son premier Protocole additionnel.
Elle a fait valoir, à titre principal, les conséquences, pour elle, de la démolition de la construction qu’elle avait édifiée, et à titre subsidiaire, elle a rappelé qu’elle avait respecté les règles d’urbanisme, et que sa voisine n’occupait que rarement sa maison.
Elle a demandé à la Cour de cassation de censurer l’arrêt d’appel en arguant du fait que la démolition constituait une sanction disproportionnée au regard de la nature du trouble causé.
Le pourvoi est rejeté, la Cour se contentant de relever que « Mme X… s’étant bornée à soutenir dans ses conclusions d’appel que la démolition de sa maison entraînerait pour elle des conséquences extrêmement lourdes voire dramatiques, la Cour d’appel n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ».
La motivation du rejet du pourvoi ne permet pas de donner une portée considérable à cet arrêt de la Cour de cassation. Il n’a d’ailleurs pas fait l’objet d’une large publication.
On retiendra néanmoins que l’action d’un voisin visant à faire démolir une construction réalisée sans empiétement sur la parcelle voisine et conformément aux règles d’urbanisme, a été accueillie. Les juridictions ont tenu compte de l’importance du trouble de voisinage occasionné par cette construction consistant en une perte d’ensoleillement et une forte dépréciation de la valeur de l’immeuble.
Il s’agit par conséquent d’une limite importante au caractère absolu du droit de propriété. En effet, depuis l’arrêt Clément-Bayard (Cass. civ. 1ère, 3 août 1915, n°00-02.378), on savait que la limite à l’exercice de ce droit était qu’il dégénère en abus, cet abus pouvant être caractérisé par l’intention de nuire.
En l’espèce, aucune intention de nuire n’a été établie. Cependant, le simple constat de l’importance du trouble de voisinage occasionné par la construction a justifié qu’il soit fait droit à la demande de démolition.
Le propriétaire d’un terrain doit par conséquent s’interroger lorsqu’il envisage l’acte de construire. En effet, par nature cet acte cause un trouble à la parcelle voisine. Or, le caractère éventuellement anormal de ce trouble ne l’expose pas seulement à une éventuelle compensation financière. Il peut, selon son importance, justifier la démolition de la construction, même si celle-ci respecte les règles d’urbanisme applicables.
Dans la seconde affaire (Cass. civ. 3ème, 21 décembre 2017, FS-P+B+I, n°16-25.406), M. Z et Mme X, propriétaires d’une parcelle, ont fait édifier un bâtiment et un mur de clôture empiétant, de façon très minime sur la propriété de M. Y.
Le voisin décide alors d’agir en démolition de ces constructions édifiées en partie sur sa propriété. Il a été fait droit à sa demande en première instance comme en appel.
Un pourvoi a été formé par les voisins, constructeurs de l’immeuble. Ils ont invoqué la disproportion entre l’atteinte très réduite au droit de propriété de leur voisin du fait du caractère minime de l’empiètement et la sanction radicale et, à leurs yeux, excessive, consistant à exiger qu’ils procèdent à la démolition de leur construction.
Là encore, comme tout justiciable désireux de faire tomber un totem de son droit national, ils ont invoqué les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et notamment l’article 1er de son premier Protocole additionnel pour tenter de réduire la portée du caractère absolu du droit de propriété.
Ils ont fait valoir qu’en vertu de cette disposition relative au droit au respect des biens, la démolition d’une construction ne peut être ordonnée que si elle n’est pas manifestement disproportionnée au but légitime poursuivi.
Enfin, ils ont développé un moyen visant à faire reconnaître que la persistance de leur voisin à demander la démolition de leur construction en dépit du caractère très minime de l’empiètement, était de nature à caractériser un exercice abusif du droit de propriété.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi et rappelé que « tout propriétaire est en droit d’obtenir la démolition d’un ouvrage empiétant sur son fonds, sans que son action puisse donner lieu à faute ou à abus ; que l’auteur de l’empiétement n’est pas fondé à invoquer les dispositions de l’article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dès lors que l’ouvrage qu’il a construit méconnaît le droit au respect des biens de la victime de l’empiétement ».
Par conséquent, l’action en démolition en suite d’une atteinte directe au droit de propriété est insusceptible de caractériser un abus de droit, ni de fonder un contrôle de proportionnalité de la mesure.
En réalité, les faits de la cause étaient très différents de l’espèce précédemment commentée.
En effet, il ne s’agissait pas d’analyser si le voisin constructeur de l’immeuble avait commis un abus dans l’exercice « actif » de son droit de propriété. La question était de savoir si le voisin impacté par cette construction qui empiète sur sa propriété, mais qui n’a commis aucun fait positif, peut agir en justice pour faire respecter son droit de propriété.
Très logiquement, la Cour de cassation, fidèle à sa jurisprudence, considère que le simple fait d’agir en justice pour exiger la démolition de la construction de l’immeuble qui empiète sur son propre terrain, ne constitue pas un abus de droit, peu important le caractère minime de l’empiètement (Cass. civ. 3ème, 20 mars 2002, n° 00-16.015 ; Cass. civ. 3ème, 10 novembre 2016, n°15-19.561).
En cela, le caractère absolu du droit de propriété, résultant des dispositions de l’article 544 du Code civil, se trouve conforté. Un voisin ne peut pas porter atteinte, par un empiètement, au droit du propriétaire de la parcelle voisine qui conserve le droit absolu de faire respecter l’intégrité de son terrain.
A l’inverse, lorsqu’il envisage de construire sur sa propre parcelle, sans commettre d’empiètement, et qu’il peut avoir le sentiment d’être « maître chez lui », le constructeur ne dispose pas, en réalité, d’un droit absolu à construire. En effet, indépendamment du respect des règles d’urbanisme, il doit également prendre en compte la gêne éventuellement occasionnée à la propriété voisine et vérifier que l’exercice de son droit, par le fait positif de réalisation de la construction, n’est pas de nature à causer un trouble anormal de voisinage qui puisse justifier, pour y mettre fin, la démolition de la construction.
Par conséquent, le droit de propriété conserve son caractère absolu lorsqu’il s’agit d’assurer la défense de ce droit. Ce même droit de propriété apparaît plus relatif lorsqu’il s’agit d’assurer la défense de ses droits dérivés comme celui de construire.
Le voisin se trouve dans une position d’attente et d’arbitre. D’aucuns diraient que ces décisions sont de nature à confirmer l’adage un peu cynique selon lequel « un bon voisin est un voisin mort ». Il est surtout nécessaire de ne pas s’exposer à son réveil éventuel et, dans le cadre d’un projet de construction, de s’assurer du concours de professionnels aguerris permettant de s’assurer, d’une part, des limites de sa propriété et, d’autre part, de la faisabilité technique et juridique du projet dans son environnement.
A rapprocher : Cass. civ. 3ème, 20 mars 2002, n°00-16.015 ; Cass. civ. 3ème, 10 novembre 2016, n°15-19.561 ; Cass. civ. 1ère, 3 août 1915, n°00-02.378 ; Article 544 du Code civil ; Article 552 du Code civil ; Article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales