Cass. civ. 3ème, 5 octobre 2017, n°16-17.533
Le preneur d’un bail commercial conclu dans le cadre d’une opération de défiscalisation, qui se réserve la faculté de donner congé à l’issue de la première période triennale et qui use effectivement de cette faculté, manque à son devoir de loyauté contractuelle.
Ce qu’il faut retenir : Le preneur d’un bail commercial conclu dans le cadre d’une opération de défiscalisation, qui se réserve la faculté de donner congé à l’issue de la première période triennale et qui use effectivement de cette faculté, manque à son devoir de loyauté contractuelle. En effet, la pérennité de l’investissement réalisé par les bailleurs est interdépendante de la durée de neuf ans du bail commercial.
Pour approfondir : En l’espèce, des particuliers avaient acheté des pavillons adoptant le régime fiscal de LMNP (Loueur en Meublé Non Professionnel). Ce régime fiscal permet notamment la récupération de la TVA sur le prix d’acquisition du bien mais à condition que le bien soit loué meublé dans une résidence service et que les propriétaires consentent un bail commercial pour une durée de neuf ans minimum.
Les acheteurs ont alors consenti des baux commerciaux à un exploitant EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), c’est-à-dire un ensemble immobilier constitué de chambres médicalisées permettant l’accueil de personnes âgées qui ont besoin d’une assistance journalière et permanente. Ces baux, conclus avant la loi PINEL, ont été signés pour une durée de neuf ans avec faculté pour le preneur de donner congé à l’expiration de chaque période triennale.
A l’issue de la première période triennale, le preneur a usé de cette faculté mettant alors in fine en péril les avantages fiscaux des bailleurs. Ces derniers ont alors assigné le preneur en responsabilité contractuelle.
La Cour d’appel a condamné le preneur à indemniser les bailleurs des différents préjudices financiers subis par les bailleurs : redressement de TVA, perte de valeur des biens mobiliers, perte des loyers et perte de chance de bénéficier des amortissements. Elle juge qu’ « en se ménageant la possibilité de résilier les baux à l’issue de la première période triennale, alors que la cause déterminante et la commune volonté des parties était une opération de défiscalisation, les preneurs ont manqué à la loyauté contractuelle tant lors de l’établissement des baux que lors de la mise en œuvre de la faculté prévue ».
La Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel et affirme ainsi l’interdépendance entre la durée effective du bail commercial conclu avec l’exploitant et l’opération de défiscalisation envisagée par les bailleurs. Une durée minimum d’exploitation étant exigée pour bénéficier des avantages fiscaux liés à l’opération, l’usage de la faculté de résiliation triennale par l’exploitant apparaît déloyal au regard dudit investissement.
Le bail en l’espèce a été conclu avant la loi PINEL et rappelons qu’en l’état antérieur du droit, la stipulation de baux à durée ferme était libre. Toutefois, depuis la loi PINEL, la renonciation à la faculté de résiliation triennale est certes strictement limitée mais est ouverte aux baux portant sur des locaux monovalents, ce qui est généralement le cas des EHPAD (article L.145-4 du Code de commerce).
Dans un souci de protection de l’investissement des particuliers, le législateur est déjà intervenu en matière de résidences de tourisme afin de rendre obligatoire la durée ferme de neuf ans pour le preneur (L.145-7-1 Code de commerce). La Cour de cassation avait d’ailleurs refusé de transmettre une QPC portant sur cette disposition législative (Cass. civ. 3ème, 16 mars 2017, n°16-40.253) soulevée pour violation du principe d’égalité entre les exploitants résidence tourisme et les autres exploitants qui bénéficient de la faculté de résiliation triennale.
L’arrêt du 5 octobre 2017 remet la question à l’ordre du jour : à l’image de la protection législative accordée aux investisseurs résidence tourisme, les juges ont de par cette décision protégé au même titre, les investisseurs sur le fondement de la loyauté contractuelle. Serait-ce un appel à légiférer ?
A rapprocher : Article 199 sexvicies CGI ; L.145-4 et L.145-7-1 Code de commerce ; Cass. civ. 3ème, 16 mars 2017, n°16-40.253