Panorama de Jurisprudence (2016-2017)
La jurisprudence relative aux clauses de destination est riche d’enseignements, tant pour les bailleurs que pour les preneurs qui doivent être particulièrement vigilants au moment de leur rédaction initiale mais aussi tout au long de la vie du bail et au moment de ses renouvellements…
Ce qu’il faut retenir : La jurisprudence relative aux clauses de destination est riche d’enseignements, tant pour les bailleurs que pour les preneurs qui doivent être particulièrement vigilants au moment de leur rédaction initiale mais aussi tout au long de la vie du bail et au moment de ses renouvellements ; la modification de la destination en cours de bail étant encadrée et les sanctions lourdes pour chacune des parties.
Pour approfondir :
I. Le choix crucial de la destination initiale
La rédaction de la clause de destination du bail commercial est un enjeu majeur à la fois pour le bailleur et le preneur. Ainsi, une clause de destination rédigée trop largement peut alourdir les obligations mises à la charge du bailleur notamment celles liées à la délivrance. A contrario, une clause de destination trop restrictive pourrait freiner le développement de l’activité commerciale du preneur. Enfin, en centre commercial, une très grande vigilance est de mise à raison des éventuelles clauses d’exclusivité consenties aux preneurs.
Le choix de la destination initiale est d’autant plus important que son ajustement éventuel est malaisé. Ainsi, l’acte de vente du fonds de commerce au profit du preneur qui a pour destination exclusive « la vente de prêt à porter féminin » interdit au preneur de vendre « des vêtements, chaussures, maroquinerie et accessoires pour homme ». (Colmar, 2 novembre 2016, n°15/05159)
De même, la clause de destination du bail commercial telle que rédigée « glacier, salon de thé, et vente de boisson chaudes ou froides et de pâtisserie à emporter ou consommer sur place, à l’exclusion de toute fabrication » exclut l’activité « de fabrication de crêpes et de gaufres sur place ». (Cass. civ. 3ème, 15 décembre 2016, n°15-23.831)
Encore, la jurisprudence a estimé que le bail commercial conclu à destination exclusive de « fonds de café » n’autorise pas « l’activité de petite restauration ou de restauration rapide ». (Lyon, 14 mars 2017, n°15/06628)
Enfin, même si la vente d’alcool pourrait être considérée comme le développement usuel du commerce de « sandwicherie et pizzeria », en l’espèce, cette activité de vente représentant 59% du chiffre d’affaires n’a pas été retenue comme étant incluse dans la destination. (Toulouse, 17 mai 2016, 15/01388)
Le non-respect de la clause de destination a des conséquences particulièrement graves pour le preneur (résiliation du bail et refus de renouvellement sans indemnité d’éviction).
II. La modification de la destination en cours de bail
La modification de la destination contractuelle en cours de bail est très encadrée et la faute du bailleur dans la délivrance des locaux loués est indifférente pour justifier toute modification unilatérale.
Par exemple, un bail commercial avait été conclu entre un bailleur et une société exploitante de résidence de tourisme. Il avait été convenu que le preneur exercerait une activité « d’exploitation à caractère hôtelier consistant en la sous-location meublée des lots, avec fourniture de services et prestations à la clientèle ». Le preneur souhaitait obtenir le classement des locaux loués « en résidence de tourisme catégorie 3 étoiles », classement qu’il n’a finalement pas pu obtenir du fait de la structure de l’immeuble et de la non-conformité des locaux aux normes applicables aux résidences de tourisme.
Afin de pouvoir tout de même exploiter les locaux pris à bail, le preneur a passé une convention avec le SAMU social afin d’accueillir régulièrement des personnes en état de précarité. Malgré le manquement du bailleur à son obligation de délivrance, la Cour de cassation a jugé que le preneur avait commis une faute justifiant la résiliation du bail commercial à ses torts exclusifs. (Cass. civ. 3ème, 30 mars 2017, n°15-25.161)
On rappellera que pour pouvoir modifier la destination contractuelle en cours de bail, le preneur dispose de la faculté de déspécialisation partielle à condition d’« adjoindre à l’activité prévue par le bail, des activités connexes ou complémentaires » ou plénière pour « des activités différentes de celles prévues au bail, eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l’organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble ou de l’ensemble immobilier » (articles L145-47 et L145-48 du Code de commerce). En pratique, ces modalités de déspécialisation interviennent à la marge.
Récemment, la Cour de cassation a rappelé que le bailleur n’avait pas à motiver le refus de déspécialisation opposé au preneur. Le preneur souhaitait adjoindre à l’activité « d’entretien et de réparation automobile » celle de « pneumatique » et reprochait au bailleur de s’être opposé à la déspécialisation partielle sans avoir démontré que l’activité envisagée ne répondait pas aux critères de connexité ou de complémentarité de l’article L145-47 du Code de commerce. Cet argument est jugé inopérant. (Cass. civ. 3ème, 9 février 2017, n°15-28.759).
Parfois, les demandes de déspécialisation peuvent sembler quelque peu « farfelues ». (voir en ce sens Grenoble, 13 avril 2017, n°15/04948 concernant une demande de déspécialisation d’un preneur afin d’adjoindre une activité de coiffure à une activité initiale de « crèmerie, primeur et alimentation générale »).
III. L’incidence au moment du renouvellement
Pour bénéficier du renouvellement, le statut des baux commerciaux exige que le preneur soit immatriculé dans les locaux pour l’activité exercée (article L145-1 du Code de commerce).
Dans un arrêt du 22 septembre 2016, la Cour de cassation s’est montrée particulièrement sévère à l’égard d’un preneur, considérant que si le preneur n’était pas immatriculé au RCS pour la même activité que celle exercée dans le local commercial alors celui-ci perdait le droit au renouvellement et le doit au paiement d’une indemnité d’éviction et ce, sans que le bailleur n’ait besoin de le mettre en demeure de régulariser sa situation préalablement.
En l’espèce, le preneur était inscrit au RCS pour l’activité de vente « d’objets d’arts, bois sculptés, miniatures et ivoires d’importation ou d’exportation, d’objets de luxe » alors qu’il avait modifié son activité en cours de bail pour y intégrer « la vente de prêt à porter et d’objets touristiques » mais sans avoir rectifié son kbis en conséquence (Cass. civ. 3ème, 22 septembre 2016, n° 15-18.456). Les preneurs ne peuvent pas faire l’impasse sur cette simple formalité !
A rapprocher : L145-1 du Code de commerce ; L145-47 et L145-48 du Code de commerce ; Colmar, 2 novembre 2016, n°15/05159 ; Cass. civ. 3ème, 15 décembre 2016, n°15-23.831 ; Toulouse, 17 mai 2016, 15/01388 ; Cass. civ. 3ème, 30 mars 2017, n°15-25.161 ; Grenoble, 13 avril 2017, n°15/04948 ; Cass. civ. 3ème, 9 février 2017, n°15-28.759 ; Cass. civ. 3ème, 22 septembre 2016, n° 15-18.456